c - Alesia et le Jura

 
 
 
                                           PREMIER COMBAT de CAVALERIE
 
 
 
  
Ce qui suit correspond à une réflexion fondée sur des considérations de tactique militaire : elle sera approfondie dans le fascicule Alésia-bataille ..  Ces considérations se fondent sur les informations données par César. Elles s'avèrent indispensables pour décrire l'environnement, faute d'autres données. Marc Terrasson les reprendra dans Alésia- la Bataille.
Il y a entre nous quelques divergences d'interprétation sur l'environnement plus dans la présentation que dans le fond. Le point principal se situe vers Sirod où je privilégie un passage tant pour César au début de la Bataille et Vercassivellanos vers la fin et de nuit ,via Lent alors que Marc Terrasson préfère les faire passer par Bourg de Sirod  et les pertes de l'Ain.
 
Les données que nous avons exploitées pour sélectionner la zone du combat se résument à : un obstacle sérieux qui sépare les Romains des Gaulois, 2 collines, les éléments propices à une embuscade d'armées, au moins une rivière et une plaine pour faire évoluer 2 cavaleries en pays de montagne, la proximité d'Alésia, les erreurs d'appréciations de César.
 
Deux versions peuvent être avancées pour comprendre cette action que César ne décrit que de façon bizarre.  

    Une version saluant le génie militaire de Vercingétorix:

Vercingétorix a décidé d’arrêter César avant qu’il ne quitte la Gaule et de profiter de l’ état passager d’infériorité relative de ce dernier, alors en retraite avec tous ses bagages et donc plus vulnérable ( confirmation au chap LXX ) . Il n’est pas question de livrer combat en plaine ou zone dégagée car les Romains sont imbattables dans ces conditions. Après la traversée de la Saône et surtout depuis la traversée du Doubs et de la Loue par César , Vercingétorix sait que celui-ci se dirige vers la Suisse au plus droit , donc vers Arbois / Poligny.

Les Gaulois viennent du pays héduen et Vercingétorix connaît l’oppidum de La Chaux des Crotenay qui peut constituer un barrage infranchissable pour les Romains. Il faut donc les y amener et les obliger à ne pas passer trop au Sud de l’actuelle Champagnole, itinéraire le plus facile. C’est l’embuscade de cavalerie, qui est plus qu’une embuscade puisque Vercingétorix lance tous ses cavaliers soutenus par de l’infanterie massée au bord d’une rivière pour les recueillir ou les renforcer.

Si la victoire n’est pas acquise, il peut se replier sur le formidable éperon d’Alésia, ce qui fut le cas. Je souligne que les Gaulois ont bien failli battre les Romains et s’emparer de leurs bagages dont le précieux butin, celui de l’année au moins

II     Une version plus réaliste, selon l'hypothèse retenue dans le fascicule La Bataille.

Vercingétorix veut profiter immédiatement de son avantage de la connaissance du secteur. Il veut profiter de l’étirement de la colonne des romains et de la crête de la Heute pour affaiblir César, le retarder et lui infliger des pertes en hommes et matériels, voire le priver de ses bagages et de son butin. Il devait être sous pression de ses alliés Héduens qui forment le gros de sa cavalerie et qui voudraient, par une victoire, retrouver une partie de leur autorité sur l’armée gauloise ( cf Rambaud ). S’il y a échec total ou partiel, il se réfugiera sur le plateau de La Chaux des Crotenay (Alésia) d’où il pourra mener sa guerre d’usure contre la colonne de César, quelle que soit la route que ce dernier empruntera. Ensuite il passera sur le Granvaux pour continuer sa politique de la terre brûlée en se plaçant toujours devant l’armée romaine. Dans cette hypothèse, il n’est pas encore question d’une armée de secours. Celle-ci, bien que déjà pressentie, ne prendra corps qu’après le deuxième combat de cavalerie  dans la plaine des 3000 pas devant Alésia et surtout quand le Gaulois se rendra compte que César a bien  commencé de l’assiéger.
 
 

Reprenons la marche de César

Pour monter la première falaise du Jura, César a probablement dû couper son armée en plusieurs corps, les poids lourds passant par Arbois et Poligny et une ou deux légions montant ailleurs, sans bagage, en particulier par Plasne pour protéger son flanc Sud. Et alors ensuite il faut les réunir, se reposer avant la montée de la Heute , soit vers Picarreau soit vers Montrond.

Si l’armée est montée en quasi file en passant par Plasne, il faut également la rassembler. Ensuite César pourrait reprendre sa route pour le col de la Savine.

Nous pensons donc que César a opté pour une halte sérieuse alors, et qu’elle a eu lieu soit vers Picarreau ( route Sud) soit vers Montrond route nord. Dans les 2 cas, Il prendrait ensuite le chemin au Sud du Mont Rivel qui évite un tas d’ennuis;  c’est l’hypothèse du Professeur Berthier.

  En imaginant la raisonnement de César, avec les renseignements dont il pouvait disposer : avec 1 ou 2 légions César peut barrer ou protéger la route Sud par Champagnole, au Vaudioux et Chatelneuf aujourd’hui;  les Romains y ont un endroit de plaine favorable pour installer un vrai camp, là où ils sont rarement battus; c’est assez plat et dégagé. César semble l’avoir compris assez vite. Plus tard , l’armée de secours ne va pas s’y aventurer.

Il reste l’inconnue de la montagne.
 
Suite des évènements , le soir de cet engagement:

 

Vercingétorix avait quasi gagné: César n’avait rien compris ou appréhendé ou anticipé, les Romains étaient proches de la déroute et même César a couru un grand danger puisque selon d’autres auteurs dont Plutarque et surtout Servius le grammaitien au IVème siècle, César a été fait prisonnier , perdit son glaive, puis relâché, non reconnu, à cause de l’attrait du butin. Avec son sang froid célèbre il s'était repris et fait donner les cavaliers germains.

Vercingétorix connaissait peut-être l’existence de ces cavaliers germains, mais comme César en avait toujours queques uns avec lui-cf VII-13-  il les considérait comme sans grand danger, avec des méthodes inhabituelles de combat et ils ne parlaient pas le latin comme la plupart des auxiliaires .

Or ils renversent le cours du combat en bousculant les cavaliers héduens et s'emparant de leurs chefs, selon Berthier sur la colline de Montsaugeon, soit suivant les historiens Gavet et Eychard sur le jugum de Ney. Le premier est devant l’Ain, le deuxième est derrière.


L’escarmouche est finie et les Gaulois en demi déroute ou fausse déroute, vont se réfugier à Alésia.

César a , du coup, le récit moins obscur ou plus narratif que dans la période précédente car il a repris la direction des opérations: il met ses bagages sur une colline existant dans le secteur et poursuit les fuyards. Pour situer cette colline , nous nous trouvons  devant un dilemme car le texte de César est trop elliptique pour pouvoir préciser ce point.

L’hypothèse Berthier, pour trouver cette colline, oblige à tourmenter le texte sur les distances et les temps ; or le texte est précis. Il peut mettre les bagages sur la colline de Montsaugeon, pourtant déjà mentionnée, mais le chemin pour Syam doit durer moins d’un jour, et aller sur le monts ou aller sur le mont Rivel . Cela semble un peu loin.

L’hypothèse Gavet- Eychard met les bagages sur, possiblement, l’épaulement nord du Mont Rivel et une poursuite par Sapois et la plaine des 3000 pas. Le point faible est que la fameuse colline attaquée par les Germains est alors derrière la rivière alors que le texte met cette hauteur (jugum )à droite des combats et on ne devine pas qu’ils aient traversé l’Ain ;  mais comme les Germains prennent les Gaulois par derrière, pourquoi n’auraient-ils pas traversé justement vers le Montsaugeon et  la colline des bagages ne serait elle pas sur la route de la citadelle.

Pendant ce temps César se remettait du combat, non perdu de justesse , mais il a dû avoir des dégâts notables .......

Fin de l’aparté militaire ; les 2 hypothèses laissent les bagages à droite de l’Ain à des distances plausibles et le lecteur pourra étudier les textes peu descriptifs et les cartes.pour se faire une opinion
 
 
 
 

Ceci  amènera le lendemain le généralissime devant l’ARX

et où il comprend sa douleur.

          Mettons nous à la place de César devant cet environnement impressionnant . La  photo ci-après et les commentaires qui suivent  aident à se mettre dans l'ambiance :

L’initiative des opérations jurassiennes, selon notre récit, a appartenu à Vercingétorix jusqu’ici, mais la fortune semble avoir un peu tourné . César peut avoir entrevu la solution suivante: Il ne peut pas passer car le contexte géographique avec un adversaire coriace est trop effrayant; mais si lui est coincé , Vercingétorix et ses soldats le sont aussi. La cavalerie héduenne sans chef ne compte plus, les Germains ont sauvé la mise romaine. La solution du siège en règle est militairement gagnable par son armée de métier. César fait son choix. Après tout s’il est attaqué par l’extérieur il a de nombreux atouts, dont précisément le terrain plus fait pour la guérilla que pour déployer 250 000 hommes mal entraînés  ; ainsi il anéantira d’un coup l’ennemi. 

Un mot sur l’environnement à l’aide de présentations commentées:

La cité celtique de Chaux des Crotenay se trouve’ derrière’ ce qui est fléché Alésia sur la photo. Il doit y rester alors une citée occupée par les Mandubiens, avec des remparts, des monuments religieux et des sites funéraires dont il reste des traces, peut-être énigmatiques comme tout ce qui est monument celte jusqu’à nos jours. L’avènement du tracteur/ bull-dozer en a déjà détruit une partie mais il en reste assez pour l’attester. Il y a en outre dans tout ce secteur des tumulus, des édifices funéraires ou religieux qui apparaissent pré-gaulois. Evidemment ce n’est pas une civilisation facile à comprendre, mais il est impossible à des gens de bonne foi de dire que ce sont de simples tas de pierres. Pour nous l’existence de ces vestiges confirme la phrase de Dion Cassius sur les Celtes et Alésia.

  

La photo suivante est tirée de la revue A.L.E.S.I.A. La végétation est actuelle. A l’époque gauloise les sommets devaient être en alpage comme au XVIIème, et les pentes couvertes avec des feuillus. Le cours de l’Ain s.s. était plus étroit alors, ses sédiments n’ayant pas été exploités par la gravillonnière de Syam . La plaine est d’ origine fluvio-glacière.   Le nom Chaux indique, pour plusieurs auteurs, un sommet dénudé avec du calcaire à l’affleurement

                                                                                                                                                                  

                                                                          Riv Saine                                                                  Alésia en arrière plan

                                                                Camp de César                                            ARX

                                                                                          Pré Grillet                                                                riv Lemme

                                                devant Syam plaine des 3000 pas                                                passage de la Billaude

                    

 

 

 

                       Ci-dessous pour illustrer cette affirmation:

Présentation d’un vestige vraisemblablement celtique aux Abattois, à Chaux des Crotenay qu’on peut appeler monument de culte ou autel.

                  photo de J.C. Garillière 2007

C’est aujourd’hui le sujet de travail auquel s’est attelée l’Association ArchéoJuraSites


Note d’auteur: Le croquis suivant est basé sur un extrait de la carte Michelin actuelle avec commentaires.Elle n’a pas d’autre but que de montrer la complexité de la topographieavec la première falaise du Jura; il reste 2 autres falaises à franchir avant d’arriver en Suisse. Les routes , en rouge sont celles que j’ai prises en considération, pensant qu’elles existaient à l’époque.

Il est frappant de constater que, à l’instar de Vercingétorix et César, les Prussiens et l’Armée de Bourbaki en 1871 se sont affrontés aux Planches en Montagne, chacune des 2 avant-gardes étant arrivée par son itinéraire.propre .

Suite de mes commentaires :

L’Armée de Secours et le contexte local

César a vite compris le caractère du pays et vu les difficultés de la traversée du Haut Jura avec son ennemi à ses basques; donc bloquer à Alésia l’ennemi était peut-être un moindre mal.

Pendant la construction de ses fortifications il a du prendre la mesure du pays; il a passé le premier plateau et a pris connaissance de ce qui reste à faire franchir à une armée importante faites d’hommes des plaines, dans un pays plutôt hostile, tant sur le plan humain que topographique et  à cause des obstacles dus à la végétation et se dire que c’est impossible avec Vercingétorix en embuscade permanente, qu’il soit devant, derrière ou sur les cotés. Il faut le vaincre.

Vercingétorix doit moralement être atteint sérieusement par ses 2 défaites de cavalerie car rien ne s’est passé comme il le voulait; il a du mal à se remettre des échecs qu’il vient de subir, d’autant qu’il sent un flottement chez les Héduens, les grands vaincus de l’embuscade  de  cavalerie, leur point fort, d’autant que ces défaites de la cavalerie gauloise lui rendent très difficile la poursuite de la tactique de la terre brûlée surtout en montagne. Il accepte le siège au lieu de s’implanter ailleurs car il lui reste l'appel à une l’armée de secours, qui a ou n’a pas été  évoquée auparavant.

César a eu le temps , après  avoir dû interrompre sa retraite vers la Province  et ayant constaté que Vercingétorix aussi ne bougeait pas, de prendre connaissance de l’environnement immédiat, assez hostile pour lui mais qui lui a permis d’enfermer son adversaire facilement, les falaises, précipices lui évitant des km de circon ou contre vallations.

Et il doit bien penser qu'une Armée de secours, une multitude, aura bien des tracas topographiques pour l’attaquer et que ses défenses seront efficaces d'autant que l'ennemi, mal  organisé et peu discipliné , ne pourra pas profiter de sa supériorité numérique

On est dans la situation quasi inverse de celle de la Bataille de l’Aisne: César est l’assiégeant mais va être assiégé et Vercingétorix est dans la position dominante qu’ il a choisie et que César doit subir. La route vers la Province est pratiquement coupée militairement pour l' armée romaine et il ne peut faire une retraite honorable, ce qui n’a pas été le cas sur l’Aisne pour les Belges , mais du coup Vercingétorix se fait piéger. Une autre différence avec l’Aisne est que le théâtre des opérations est très vaste, coupé d’abrupts qui obligent à de vastes détours et cloisonnent les champs de bataille et que d’aucun point on ne peut embrasser la totalité du théâtre des opérations, ce qui empêchera l’armée de secours de tirer partie de sa supériorité numérique.

Ce qui est similaire dans ces deux batailles, je me répète, est la position dominante et forte de l’assiégé qui bloque de fait le passage de l’assiégeant vers l' avant.

Comment s’installe l’armée de secours? Ce sont 240 000 guerriers, de tribus ou cités diverses plus 8 000 cavaliers et les intendances, nous dit César, qui arrivent dans un pays qu’ils ne connaissent guère sauf les quelques Séquanes qui se sont joints à cette troupe disparate, plus habitués à guerroyer entre eux qu’à affronter une armée de métier, et sans grande pratique de la guerre d’usure.

César nous dit qu’ils s’étaient réunis en pays héduen, probablement vers Bibracte, dans la plaine d’Autun. Ils ont fait mouvement vers Alésia . Pour nous, ils ont dû passer par Chalons sur Saône puis se sont dirigés vers le Jura pour grimper la première falaise, plutôt groupés que répartis sur les 3 passes décrites plus haut.

Cela les fait passer par Lons le Saunier. Les faire passer par Poligny est encore plus acrobatique que pour César et Arbois est trop au Nord. Donc ils poursuivent leur chemin par Mirebel, Pont du Navoy, la plaine de l’Ain et arrivent au mont Rivel. Ils se sont organisés par cités. Certains s’installent, dit César à 1000 pas des troupes romaines.

Cela fait des ha de cantonnements dans un paysage chahuté.

Tout de suite une attaque dans la plaine de 3000 pas par les cavaliers impatients. L’espace est trop exigu, mal estimé et ils se gênent; les cavaliers germains et romains les mettent en déroute; cela fait penser qu’ils se sont précipités au combat depuis leurs bases qui ont donc des chances d’être au S.E. du mont Rivel, et au nord de la boucle de l’Ain.

César ne parle pas d’une attaque par ce que j’appelle la route de Genève passant dans la plaine du Vaudioux: les Romains avaient là, comme nous l’avons déjà mentionné, sans doute  1 à 2 légions en position favorable et étaient solidement barricadés. Bordé par une descente difficile vers le camp principal, le site est protégé par une ou deux redoutes dont une encore visible vers Chatelneuf . Serait- ce celle mentionnée à 1000 pas des campements gaulois?

Leurs guides indiquent aux Gaulois que la position du camp Nord est plus difficile à défendre. Vercassivellanos a le bon réflexe: il monte une attaque le lendemain après une marche de nuit, donc cela donne encore une idée de distance et conforte l’idée que ce camp nord peut se situer vers Crans.

César avait bien dû envisager cette possibilité avec les reconnaissances qu’il a eu le temps de faire mais il a dû s’adapter aux exigences du terrain.

Comprendre pourquoi 240 000 guerriers redoutables n’ont pas vaincu les Romains, conforte l’idée que le secteur de la bataille doit être à relief tourmenté car l’armée de secours n’a pas pu profiter de son avantage numérique de guerriers, même mal encadrés. Sur les 240 000 hommes, seuls 80 000, choisis , ont pris part à ce combat ,  et’ils ont perdu de peu. C’est peu de dire que César a eu de la chance, car son camp Nord était réellement un point faible, vu la topographie et les traditions romaines. Les heures qui vont suivre la déroute de Vercassivellanos, tragiques, montrent que Vercingétorix a compris qu'il avait perdu . 

 

Voilà, l’exposé est terminé.

Cet exposé n’est pas une démonstration mais un exercice de logique stratégique pour concilier un texte sur un évènement vieux de plus de 2000 ans et les impératifs du terrain, à la lumière de la géographie actuelle ; exercice tenté  avec l'aide d' un Général d’infanterie, mais sans avoir l'expérience de faire évoluer une armée organiséede 100 000 personnes de Langres à Genève  avec des adversaires moins organisés mais plus nombreux.

C'est une tentative pour apprécier le génie de César ainsi que celui de Vercingétorix non moindre.

 

C. DELAS

 


Comments