VI – Quels sont les itinéraires possibles
pour César ?
Il y a cinq itinéraires à partir de Langres, pour rejoindre la Province :
1) La route normale Langres – Dijon – Chalon – Mâcon – Vienne.
Elle est resserrée entre la Saône puis le Rhône d’une part, et les collines de la Côte d’Or, les Monts du Mâconnais puis du Lyonnais d’autre part. Elle est sous contrôle héduen, et les Gaulois y attendent sûrement les Romains. César dit d’ailleurs (VII, 65) que ses communications sont coupées avec la Province.
2) Les chemins de la rive gauche de la Saône, par la Bresse et la Dombes.
Pays marécageux, peu peuplé, gâté par la malaria ; les chemins y sont peu roulants. L’itinéraire est en pays révolté (héduen et ségusiave) et le caractère ouvert du paysage empêche une progression discrète. Il était certainement compris dans l’appréciation que porte César sur les itinéraires vers la Province, quand il dit qu’ils sont coupés.
3) Les trois passes du Jura :
Ø Pontarlier au nord qui aboutit à Lausanne en pays helvète ;
Ø La Givrine au centre : c’est en gros l’actuelle RN5 par Morbier, qui aboutit soit à Genève par la Faucille, soit à ce qui sera Nyon sur le Léman, par Saint - Cergue ;
Ø La passe de Nantua au sud, qui débouche sur Bellegarde. Les Helvètes en 58 ont, semble-t-il, emprunté cette route qui est roulante jusqu'aux abords du Rhone, et correctement défilée par le Revermont, vis à vis du pays héduen. Sa difficulté se trouve à l’extrémité sud qui peut être difficilement franchissable, si des forces gauloises tiennent les défilés.
Les deux premières passes sont discrètes mais de parcours beaucoup plus difficile que la troisième : les cols seront infranchissables, si Vercingétorix y précède l’armée romaine.
VII – Idée de manœuvre de César
« Il me faut trouver une parade à la tactique de la terre brûlée : Pour réussir ce repli, je dois donc devancer les Gaulois, et faire en sorte de n’avoir à mener contre eux que des combats d’arrière-garde.
Pour cela, il me faut franchir rapidement et discrètement le terrain entre Saône et Jura. Une fois dans le Jura, il me suffira de maintenir les Gaulois à distance par des contre-attaques musclées et/ou des embuscades derrière ma colonne.
A cet effet, après avoir fermé la frontière lingonne à tout renseignement et préparé en secret un franchissement rapide de la Saône au sud du pays,
Je veux foncer jusqu’à l’abri du Revermont, puis me diriger vers le col de la Givrine en mesure, au franchissement de l’Ain, d’emprunter la route de Nantua-Bellegarde, si le chemin de Morbier s’avère dangereux. »
N.B.1- La position de l’armée romaine à Crotenay élimine la solution Pontarlier, et ne laisse que Nantua ou la Givrine. S’il avait choisi une hypothèse sur Pontarlier, César, après la Saône, aurait tiré vers Salins, au lieu de descendre sur Poligny-Arbois.
N.B.2 - Peut-être le dernier paragraphe doit-il être remplacé par : « Je veux passer par Bellegarde, en me réservant la possibilité de filer sur la Givrine, si la vallée de l’Ain était impraticable »
A l’arrivée dans la plaine de Crotenay, la différenciation n’est pas encore clairement discernable.
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VIII – Idée de manœuvre de Vercingétorix.
Hypothèse où César part vers la Province
(Dans l’hypothèse où le Romain entamerait une campagne en Gaule, Vercingétorix mettrait en œuvre la même tactique, mais devant chacune de ses colonnes.)
« Puisque César est privé de cavalerie, sa colonne sera vulnérable à cause de ses très nombreux bagages (il s’en va, il emmène tout) Je veux , sur le chemin de la Province, par des escarmouches continuelles, et des embuscades d’infanterie dans les endroits favorables, lui interdire tout ravitaillement, l’user, m’emparer de ses bagages ou les détruire, massacrer ses isolés et fractionner sa colonne pour la ruiner par morceaux.
A cet effet, je me positionnerai en permanence entre lui et la Province, et je ferai le vide devant son armée
(Cette idée de manœuvre du chef arverne était une certitude pour le colonel H. Le Mire).
IX – La rencontre, dite « Première bataille de cavalerie »
En réalité, il s’agit d’une embuscade exécutée par la cavalerie gauloise.
A) Début août, César passe la Saône, au « fin bout du pays lingon » (La formule est du colonel Le Mire) Vers Auxonne probablement, en limite, un peu plus haut vers Gray ?.
Ce fut une opération soigneusement préparée en secret, exécutée rapidement, mais qui nécessita cependant de nombreuses heures d’écoulement.
Puis, désirant quitter au plus tôt la plaine de Saône à l’est de la Côte d’Or où il était repérable, il accélère en direction du Jura, vers Dole, pour se camoufler à l’abri du Revermont ou première montée ou falaise du Jura.
Dès que sa troupe est engagée dans la plaine, il envoie une avant-garde musclée reconnaître et saisir la reculée de Poligny et la montée d’Arbois, et leurs débouchés supérieurs, puis il oblige ses légions à grimper, sans marquer d’arrêt, à mesure de leur arrivée, sur le plateau, ce qui n’alla probablement pas sans mal, avec une troupe qui venait d’exécuter une marche forcée depuis la Saône.
Il n’accorda la halte, qu’installé en haut de la montée.
Son intention ne pouvait être que : - soit passer l’Ain pour infléchir vers le sud par Clairvaux, Oyonnax, Nantua et Bellegarde ;
- soit prendre ce qui sera la RN5 vers Morbier, le col de la Givrine et le lac Léman;
- à la limite, faire le tour par Pontarlier, si les deux itinéraires précédents s’avéraient, à ce moment de la progression romaine, impraticables.
B) Vercingétorix, à la nouvelle du franchissement, comprend que César a choisi d’abandonner la Gaule. Il traverse à Chalon et – sans doute par Lons-le-Saunier - vient s’établir à 15 km du bivouac romain de Poligny-Arbois
N.B. 1/ - - Vercingétorix se disposait sans doute à continuer vers Salins, si ses batteurs d’estrade lui avaient annoncé que César remontait la Loue vers Villers-Farley ; quand ils lui apprennent que l’avant-garde romaine trace des camps à Poligny-Arbois, il s’arrête à Crotenay.
Accessoirement, si l’on veut suivre M. Reddé et sa traduction fallacieuse de « trinis castris », on peut noter qu’il y a trois étapes de 26 kilomètres entre la Saône de Chalon, et l’Ain de Crotenay.
N.B. 2 - Il aurait pu entamer le combat au sud d’Auxonne/Gray et appliquer, dès le franchissement, sa politique de la terre brûlée. (Il avait peut-être, préventivement, vidé la plaine au sud du pays lingon). Il a sans doute craint de se faire devancer par les Romains et de se retrouver derrière eux, ou n’a pas trouvé, dans ce plat pays, d’emplacement favorable à une embuscade efficace, et à mise en place discrète. Il a préféré attaquer César plus loin de la Saône, mais être sûr de le précéder. Il aurait sans doute souhaité placer sa première embuscade sur les reculées de Poligny et d'Arbois, mais y ayant été devancé par les avant-gardes du Proconsul, il a préféré attendre l'étape suivante de l'armée romaine.
L’incertitude où nous sommes sur le tracé exact de la route vers la Province, depuis l’arrivée sur le plateau de Poligny-Arbois jusqu’au Grandvaux (voir le fascicule 4, Alésia et le Jura,) nous fait ignorer l’itinéraire suivi par César pour franchir la cote de l’Heute, empêche donc de placer de façon précise les différents corps participant à l’embuscade de Crotenay, et oblige à en étudier deux possibilités.
Il y a trois passages obligés dans la côte de l’Heute, l’ensellement de Montrond (desservi par Poligny et Arbois), le col 623, mille mètres à l’Est de Besain, (qui semble avoir porté un passage plus ancien que celui de Montrond), et le vieux chemin appelé sans doute à tort « voie romaine de Pointat » à hauteur de Crotenay. Des bretelles existent cependant entre les deux itinéraires, dans la plaine de Crotenay et à hauteur de Champagnole (qui n’existait pas à l’époque).
Voyons donc les deux hypothèses de cette embuscade, en fonction des itinéraires possibles.
Vercingétorix partage sa cavalerie en trois troupes et place son infanterie dans trois camps à l’abri de l’Ain et de certains de ses ruisseaux affluents.
C 1) Hypothèse 1 : la route de Genève passait par Cizé, venant de Montrond ou Besain. (Hypothèse Ouest)
Après que la tête de colonne romaine soit sortie de la plaine de Crotenay (par le carrefour 554 – hypothèse de la Givrine -, ou par le Pré du Roi – cas de Nantua -), la cavalerie gauloise charge en trois corps sur les bagages de l’Armée :
Ø l’un sortant de l’abri du Montsogeon,
Ø les deux autres des Forêts de Montrond et de la Faye.
A ce moment, Vercingétorix fait avancer son infanterie vers la rivière, en recueil ; elle était restée, jusque là, cachée sur les hauteurs de la Ferme de Buchille, du Bois de la Côte, et, derrière l’Angillon, du Bois de la Masselette, ce qui explique que, de la plaine, les Romains ne l’aient pas décelée.
C 2) Hypothèse 2 : la route de Genève passait par Montrond, Vannoz et Equevillon (Hypothèse Est)
Le recueil est placé derrière l’Angillon, et le déclenchement se fait lorsque la tête de colonne a largement dépassé le pont de Gratteroche, les corps de cavalerie étant alors placés le premier derrière le Bois Jannet, les deux autres dans les bois de la Haye du Cerisier, l’un près de la côte de l’Heute, l’autre à l’est.
La colline oubliée par les Gaulois devient alors difficile à placer, le Montsogeon étant bien loin vers le sud, et ce point est une raison de plus pour penser que la route de Genève passait par Cizé, à l’Ouest de l’oppidum d’Alésia.
César ne voit rien de l’engagement qui lui est caché par la Côte de l’Heute, que n’ont pas encore franchie un certain nombre de légions et le gros de la cavalerie.
Légende
1 – Besain 9 – Ney 17 – Bois de la haie du Cerisier
2 – Montrond 10 – Cize 18 – Ponty du Navoy
3 – Carrefour 554 11 – Forêt de Montrond 19 – Mont Rivel
4 – Pré-du-Roy 12 – Forêt de la Faye A – route Besain – Ney – Cize
5 – Col 623 13 – ferme La Buchille A’ – variante par « la voie romaine »
5’– « Voie Rromaine de Pointat » 14 – Bois de la Masselette B – route Montrond-Ney-Cize
6 – Bois Jamet 15 – Bois de la Côte C – route Montrond-Equevillon
7 – Crotenay 16 – Pont de Gratteroche D – route de Nantua
8 - Montsogeon
N.B. Cela pourrait signifier que César, persuadé avoir berné les Gaulois et les avoir laissés derrière lui, a envoyé en avant (derrière une avant-garde solide tout de même, et avec un certain nombre de cohortes d’escorte) les bagages lourds, conservant à l’arrière-garde une masse de manœuvre allégée et sa cavalerie, pour faire front à la poursuite des Gaulois qu’il pensait recevoir sous peu, parce qu’il était persuadé les avoir devancés.
A l’annonce du combat en tête de colonne, il se porte à la Côte de l’Heute pour se rendre compte, et l’atteint soit vers la Tour de Montrond, soit vers le col 623 au S.E. de Besain. Il voit alors le Montsogeon sur sa droite dans la plaine.
Il envoie sa cavalerie sur les trois corps gaulois qui assaillent le convoi. L’occupation du Montsogeon (ou d’une autre colline, dans l’hypothèse 2, mais on voit mal laquelle) par les Ubiens risque de couper les cavaliers gaulois de l’infanterie arverne placée en recueil : ils rompent alors le combat, et passent, peut-être en désordre, sur les rives sud de l’Ain et de l’Anguillon.
Vercingétorix replie son infanterie sur Alésia et donne l’ordre d’y amener ses équipages.
César affirme qu’il le poursuit avec sa cavalerie : il espère obliger le Gaulois à s’arrêter pour livrer une bataille rangée, ou disperser les forces de l’Arverne et les faire éclater, afin de gagner quelques jours de liberté d’action qui lui permettront de dépasser le premier plateau du Jura (le Grandvaux). Apparemment, il n’y parvient pas.
Quelques kilomètres plus loin, le lendemain, il découvre l’oppidum d’Alésia qui interdit la route de Genève (et qu’il ignorait très certainement).
IX bis - UNE AUTRE VERSION DE L’EMBUSCADE DE CROTENAY.
I / Claude Delas fait remarquer que l’ensemble du récit de César, à partir du moment où il reçoit les Ubiens jusqu’à l’arrivée devant Alésia (BG VII, 66 à 68), manque de la clarté, et de la précision usuelles des Commentaires. Ces trois paragraphes sont en effet, pleins de non-dits qui taisent des pans entiers de la manœuvre, et de raccourcis qui rapprochent des relations contradictoires : par exemple, le proconsul ne dit pas un mot du franchissement de la Saône, qui fut pourtant une opération d’envergure, rien encore sur la traversée de la plaine de Dole qu’il fallut sans doute exécuter à marches forcées de jour et de nuit ; rien non plus sur l’installation du bivouac de Poligny/Arbois, où, à l’abri du premier ressaut du Jura, il fut très certainement obligé de laisser souffler l’armée, ce qui donna le temps à Vercingétorix d’accourir et de lui tendre l’embuscade de Crotenay. Rien enfin sur l’ignorance où il s’est trouvé pendant toutes ces journées sur la position des forces gauloises : on passe directement de la réception des Ubiens au nord de Langres, à la surprise de Crotenay.
Bien que la concision et les ellipses soient une caractéristique de ses écrits, un raccourci occultant des évènements aussi importants, est rare.
Et c’est là qu’on trouve les contradictions :
Après la prise du Montsogeon par les Germains, César annonce le massacre général, mais il continue la phrase par la capture de trois chefs éduens, apparemment en vie ! Plus loin, la cavalerie gauloise se débande, Vercingétorix replie son infanterie et donne l’ordre à ses trains de démarrer derrière lui, mais le proconsul – au lieu de s’emparer de la logistique gauloise et de faire éclater l’armée en retraite, par une poursuite énergique dont il sait mieux que personne qu’elle donnerait sa plus grande efficacité si elle était entreprise au plus tôt, avant que l’ennemi n’ait pu organiser son repli – le proconsul donc, s’occupe de grouper les bagages sur une colline et d’y disposer deux légions en protection ! Ce n’est qu’ensuite qu’il songera à lancer la poursuite.
Et le voyage se termine sur une dernière ellipse en forme de cri de victoire : « César leur tue trois mille hommes et, le lendemain, campe devant Alésia » !
Bien sûr, les Commentaires ne relatent que les séquences ayant une influence sur le déroulement de la manœuvre ou sur l’histoire, mais le laconisme et le flou de ces passages s’éloignent trop nettement de la logique, pour ne pas être suspects.
Sans doute le Romain veut-il cacher quelque chose ? Mais quoi ?
II / On peut avancer plusieurs hypothèses qui, toutes, recouvrent une réalité unique : c’est que l’ensemble de la manœuvre des légions depuis la Saône, aboutit à un échec sévère de la manœuvre de César visant à devancer Vercingétorix pour faire pièce à sa politique de la terre brûlée : conséquence de cette erreur, l’embuscade de Crotenay ne fut pas la belle victoire romaine que nous narrent les Commentaires !
A) Claude Delas suppose que César, malade ce jour-là, ne put intervenir lui-même et que ses lieutenants n’eurent pas, devant la situation confuse de ce piège, les réactions appropriées. C’est possible, César souffrait du « haut mal » et était sujet à des crises d’épilepsie qui le mettaient temporairement hors d’état de commander.
B) Antoinette Brenet observe de son coté, que Plutarque (Vie de César- XXVI, 7 et 8) et Servius (Commentaires sur le livre XI de l’Enéide) racontent que ce jour-là, César fut capturé par un cavalier gaulois. Un autre combattant l’ayant reconnu, insulta le romain au passage. Le premier comprit-il qu’il devait relâcher son prisonnier ? Préféra-t-il courir au pillage du convoi ? Ou décida-t-il de se débarrasser de sa capture pour sauver sa peau, lorsque la prise du Montsogeon par les Ubiens eût menacé de couper la cavalerie gauloise du recueil préparé par l’infanterie arverne ?
Toujours est-il que le général romain recouvra sa liberté.
Il est probable que la disparition du chef en plein milieu d’un combat aussi confus qu’une embuscade, créa dans l’armée un flottement, dont profitèrent les Gaulois, et qui fut long à résorber.
Plutarque parle ce jour-là d’une mêlée meurtrière qui dura très longtemps. Cet auteur semble placer l’incident juste avant la bataille d’Alésia ; si celui-ci eut lieu en 52, c’est vraisemblablement de l’embuscade de cavalerie qu’il s’agit, les autres combats où César fut obligé de payer de sa personne paraissent n’avoir mis en jeu que l’infanterie gauloise, et non des cavaliers.
C) Une autre explication pourrait venir de la certitude que professait parfois César de la supériorité de son raisonnement, et du mépris qu’il affichait à l’égard des « barbares » qu’il combattait. Cette présomption lui avait coûté le revers de Gergovie, et pourrait de nouveau s’être manifestée à ce stade de la retraite :
Persuadé d’avoir berné et devancé les Gaulois (puisque ceux-ci ne s’étaient pas manifestés depuis la Saône), il se serait attardé en queue de colonne avec sa cavalerie et une ou deux légions sans bagages, afin d’attendre l’arrivée de l’Arverne aux reculées de Poligny/Arbois, dont l’ascension offre un terrain d’école pour le montage d’une embuscade de grande envergure. La nouvelle de l’accrochage en tête lui fit peut-être croire à une diversion, ou à un combat de rencontre avec un parti gaulois en reconnaissance, et peut-être n'y attacha-t-il pas d'importance?
La difficulté qu’il aurait éprouvée à se convaincre que ses prévisions avaient été déjouées, donc le retard qu’il mit à rejoindre la plaine de Crotenay, lui mirent devant les yeux une situation catastrophique : sa colonne éclatée, les légions fractionnées, réfugiées aux lisières, ou tentant de se regrouper et de se former en carré dans la plaine, la plupart des détachements neutralisés par les tourbillons de la cavalerie héduenne, les valets disparus ou massacrés, les chariots aux traits coupés immobilisés sur place, les bêtes de trait et de bât, emmenés vers l’Est par une partie des gaulois, une autre partie occupée à piller le convoi.
Ce désordre des assaillants, à ce moment de l’embuscade, fut d’ailleurs peut-être l’atout qui permit au Romain de les chasser du champ de bataille; mais la situation de l’Agmen expliquerait que César n’ait pu entamer immédiatement la poursuite : Il a été obligé de prendre d’abord le temps de regrouper ce qui restait du convoi, ramasser ses blessés, réorganiser ses légions malmenées, et rameuter les autres.
à La décision d’assiéger Alésia tiendrait alors peut-être moins à l’éclair de génie d’un stratège inspiré, qu’à l’impossibilité où s’est trouvé le Romain de continuer la retraite, sauf à abandonner – par suite de la perte d’un grand nombre de ses bêtes de somme – la majeure partie de son convoi.
à Cette version expliquerait également la satisfaction qui ressort du texte (BG VII, 70) lorsque, après le premier combat de cavalerie dans la plaine de Syam, les légionnaires récupèrent les chevaux abandonnés par les Gaulois devant le Pré-Grillet.
à Elle jetterait en outre un éclairage un peu plus logique sur la retraite gauloise racontée au chapitre 58 :
Après la prise du Montsogeon par les Ubiens et le repli, derrière son infanterie, de la cavalerie gauloise, Vercingétorix n’a plus rien à faire à cet endroit : une grande partie des effets qu’il attendait de cette embuscade a été obtenue : il a ramassé et dirigé vers Alésia, des bêtes de bât avec leur chargement, et des chevaux d’attelage, immobilisant ainsi une partie des chariots romains. Il a dispersé les valets et en a tué ou blessé un certain nombre. Il a également mis hors de combat de nombreux légionnaires.
Bien sûr, la capture de trois chefs héduens et l’absence de pugnacité de la cavalerie héduenne, sont des déconvenues, de même que la révélation du contingent germain recruté par le proconsul, mais la journée est globalement un succès.
Estimant à plusieurs heures le délai de réorganisation nécessaire aux Romains, il donne les ordres de retraite à l’infanterie et aux trains, et fait couvrir le repli par sa cavalerie.
Puis il prend paisiblement le chemin d’Alésia.
D) Les trois mille morts gaulois dont parle César, ne seraient alors destinés qu’à masquer l’échec romain de cette journée.
X – Les conséquences de l’embuscade de Cavalerie.
A) Pour César. César a échoué dans sa tentative de tromper les Gaulois et de prendre de vitesse Vercingétorix, en le précédant sur le chemin de la Province. De plus, il a certainement perdu une partie de ses bêtes de somme et de ses bagages.
Il se trouve devant une position imprenable, qui interdit une des trois routes possibles, celle de la Givrine, et permet à l’Arverne, à partir de cette base d’opérations, d’intervenir sur ses colonnes, si l’armée romaine tente d’emprunter la route de Nantua, ou celle de Pontarlier.
En pays montagneux, l’agmen s’étirera sur de trop grandes distances pour que sa cavalerie la protège partout des harcèlements gaulois ; ceux-ci resteront impunis à cause du terrain coupé.
A) Pour Vercingétorix.
La présence des cavaliers ubiens, et leurs méthodes de combat, a été une surprise douloureuse, qui l’a empêché de remporter, hier, le succès complet que la réussite de sa manœuvre, après l’annonce du franchissement, pouvait lui faire espérer.
Néanmoins il est confiant : il est toujours placé entre César et la Province. Une des trois routes possibles vers cette dernière est interdite aux Romains, et Alésia constitue une base de manœuvre inexpugnable, qui va lui permettre de harceler les colonnes romaines quand elles vont se remettre en route, et d’aller se positionner – suivant l’itinéraire que choisira César – sur un autre terrain d’embuscade, entre celui-ci et la Province, pour continuer sa tactique de la terre brûlée, et recommencer l’action de la veille, mais avec plus de succès, maintenant qu’il connaît la présence des cavaliers germains.
B) C’est alors qu’apparaît la caractéristique majeure du génie de César : il sait discerner instantanément, dans une situation nouvelle, la faille qui va lui permettre de retourner en sa faveur le cours des événements (La perte d’une partie de ses valets et de ses bêtes de somme pèse peut-être aussi sur sa décision) :
Il a devant lui le chef de l’insurrection et l’élite de l’armée gauloise.
Le repli sur la Province étant compromis* par la perte d’une partie de ses bêtes de somme et la présence, devant lui, de Vercingétorix, il va essayer d’amener l’Arverne à livrer un combat dans la plaine, ou à risquer un siège.
Dans les deux cas, il gagne, car en poliorcétique comme en bataille rangée, l’expérience et l’entraînement des Romains les rendent imbattables contre des « barbares ».
S’il réussit, la révolte de la Gaule tombera d’elle-même pour plusieurs années, et son échec de Gergovie sera oublié.
Il lui faut donc construire très rapidement une ligne de contrevallation pour immobiliser Vercingétorix : si celui-ci passe sur le plateau de Grandvaux, tout est à refaire.
Au cas où une armée de secours serait annoncée (ce qui n’est pas sûr, César connaît les rivalités gauloises et il travaillera, s’il le peut, à les exacerber), il sera temps d’entreprendre une circonvallation.
Les caractéristiques du site favorisent d’ailleurs, sur certains points, les projets de César.
Le Romain reprend l’avantage.
* La route de Nantua est vulnérable aux incursions gauloises par les extrémités sud des plateaux jurassiens. Quant à celle de Pontarlier, elle peut s’avérer impossible à forcer, si Vercingétorix tient, avant lui, les cols et les passages difficiles.
XI – Comment se présente Alésia ?
Légende
(En Jaune) L’OPPIDUM 15 – (En vert) - LA PLAINE DES 3000 PAS
(En vert hachuré rouge) LA VILLE D’ALESIA ? 16 – poste fortifié « néolithique ?» rappelant celui de la
1 – Bourg 17 – Cornu Cheppe (Marne)
2 – Cize 18 - Pont-de-la-Chaux
3 – Sirod 19 – Chaux-des-Crotenay
4 – Crans 20 – le Rachet
5 – le Bois des Chênes 21 – Morillon
6 – la côte Poire 22 – Entre-deux-Monts
7 - Route Ouest (de Girardot) 23 – la Montagne Ronde
8 – Syam 24 – Cote Poutin
9 – le Vaudioux 25 – les Prés-de-Crans
10 – Chatelneuf 26 – les Planches
11 – Mont Camille 27 - Foncine
12 – la Billaude 28 – Route des diligences N° 2 (version indigène)
13 - Le Pré Grillet 29 – la Chaux du Dombief
14 – Arx 30 – Fort du Plasne
31 – Route Orientale (de H. Carrez)
1) Une portion de camembert pointe au nord nord-ouest ; le long des rayons, deux rivières encaissées.
2) Dimension du plateau du nord au sud : 5 kms ; largeur de la base : 5 Km = total : 950 ha environ *.
3) L’enceinte urbaine marque un espace grosso-modo trapézoïdal incluant La Chaux des Crotenay, le massif des Gressets, et touchant Pont de la Chaux (cela donne 180 à 200 hectares). Il n’est pas certain que le mur cyclopéen dont on voit les restes, ait été continu, autour de la ville.
4) Au nord, une plaine étroite de 4,5 km de long qui porte le confluent des deux rivières latérales. Elle est enserrée entre des collines escarpées.
5) L’oppidum domine cette plaine et les rivières latérales, de 200 mètres, presque partout en pentes raides.
6) A l’est de cette plaine, la montagne nord dont parle César (la Côte Poire).
7) À l’est et à l’ouest d’Alésia, des plateaux de même hauteur à flancs escarpés.
8) Au sud, l’oppidum est barré par un « talus » de 100 m. de haut - marqué, de l’ouest à l’est, par le Rachet, les Petits Epinois, et la Montagne Ronde - sur une cluse, l’Entre-deux-monts, elle-même dominée au sud, par des abrupts de 100 à 200 m. d’altitude.
9) Entre la montagne nord et les abrupts extérieurs du côté est, l’ensellement de Crans, large de trois kilomètres, descend vers la plaine, à hauteur du confluent.
10) Du côté ouest, la ligne de falaises extérieures est rompue à deux kilomètres environ au sud du parallèle passant au sommet du triangle, par un ensellement de mille mètres de large (la Billaude).
11) Les accès au plateau sont limités ; on en compte six :
Venant du nord, deux routes :
-L’une rentre le long de la Saine par le Pré-Grillet, puis s’élève sur la pente Est pour atteindre le sommet du plateau à l’est du village de Cornu.
-L’autre, venant de Syam, après avoir traversé la Saine en amont du confluent, longe la Lemme sur sa rive droite, puis grimpe sur les pentes occidentales du massif nord jusqu’au calvaire de la cote 728, à l’ouest de Cornu.
-Deux entrées latérales franchissent la Lemme à hauteur de Pont de la Chaux, et la Saine aux Combes. Elles peuvent être fermées au passage des rivières.
-Venant du sud, une route borde l’extrémité ouest du Rachet et pénètre dans la ville par une porte dont on voit encore les vestiges à la cote 762 (la côte Coulon).
-Une autre, enfin, rentre à la Chaux des Crotenay, au sud-est, par le col (**) situé entre les Petits Epinois et la Montagne Ronde (les restes d’une porte se voient vers la statue de la Vierge, à la cote 735). Cette route vient des Planches en Montagne.
12) La disproportion entre la faible renommée des Mandubiens, et la longueur de l’enceinte urbaine que l’on distingu
sur le plateau, exclut très probablement une occupation totale de la superficie enclose, et surtout une finalité purement défensive de cette enceinte. Celle-ci devait certainement témoigner, comme beaucoup de remparts connus de cette époque, de l’importance de l’agglomération, chef-lieu d’un pagus de Séquanie.
Le rayonnement de cette ville tenait sans doute moins à son rôle stratégique et politique, qu’à son poids, peut-être économique, mais surtout religieux : Diodore de Sicile prétend que c’était une métropole pour toute la Celtique.
Le fait qu’on n’ait pu, à ce jour, identifier une muraille continue (***), mais seulement cinq à six portes et des segments de murs cyclopéens placés, soit à l’arrivée des routes menant à la ville, soit à proximité des lieux cultuels, milite pour attribuer à l’enceinte antique d’Alésia un caractère plus ostentatoire et symbolique (aux plans juridique et religieux) que militaire (Cf. La ville antique (chap. II et III) Stéphan Fichtl. Editions Errances. Paris 2000.
Sa situation sur un éperon barré de grandes dimensions, nécessitant pour sa défense une troupe nombreuse, est sans doute davantage le fruit d’une coïncidence, que d’un plan prémonitoire lors de la fondation de la ville, même si l’installation sur une hauteur a été délibérément préférée - sans doute pour des raisons de prestige - au site en plaine de Champagnole.
* Quelques superficies d’oppida connus : Alise : 90 ha - Bibracte : 135 à 200 ha - Merdogne : 70 ha - les Côtes de Clermont (Gergovie) : 163ha - Manching (Bavière) 380 ha – Kelheim (Bavière) 650 ha – Heidengraben (Wurtemberg) 1650 ha –
** En 1873, le col de Gyps a été surcreusé de cinq mètres, et le tracé du chemin vicinal N° 4 qui l’empruntait a été redressé « afin de diminuer les pentes et rampes », après une bataille de trois ans entre les municipalités de La Chaux des Crotenay (qui refusait de payer des travaux qui ne l’intéressaient pas) et celle de l’Entre-Deux-Monts, qui souhaitait améliorer sa liaison avec le Bourg de La Chaux. Le col de Gyps ne portait peut-être, avant cette date, qu’un chemin muletier.
*** La clôture ancienne a peut-être aussi servi de carrière de pierres, lorsque le plateau fut réoccupé
Un peu de sémantique.
César utilise quatre mots pour qualifier la place d’Alésia : Oppidum, Urbs, Arx, et il parle aussi du Camp gaulois situé sur la face orientale de la montagne.
-Le Camp gaulois, au pied de la montagne, correspond au Pré-Grillet (VII, 69), et aux pentes qui le dominent.
-L’Arx (VII, 84) d’où Vercingétorix aperçoit l’attaque de Vercassivellaunos dans l’ensellement de Crans, est le massif des Gyps, dans sa partie est (cote 710). Sur la même « citadelle », il faut se déplacer vers 693, à l’ouest de la Grotte-à-la-Grande- Cheminée, pour pouvoir contempler la plaine de Syam.
-Quant à l’Urbs, il ne la mentionne qu’une fois, à l’arrivée. Il ne peut pas la voir depuis son camp de Syam. Sans doute l’a-t-il aperçue lorsqu’il fit, avec son état-major, le tour de la place (VII, 68), avant de prendre la décision d’entamer un siège ; peut-être l’a-t-il visitée après la reddition ?
-Chez lui, le mot Oppidum désigne toujours, dans cette portion du livre VII, l’ensemble du plateau triangulaire formant éperon barré.
On applique en général ce nom d’Oppidum à une « agglomération fortifiée occupée de façon permanente par une population dont une partie importante est constituée par des artisans spécialisés » (Venceslas Kruta ; Les Celtes ; Robert Laffont. 2000).
Il semble, d’après la description de César, que la seule fortification gauloise mentionnée durant la bataille, et dépendant de la ville, soit le mur du Pré-Grillet, le camp gaulois qui servait en somme de barbacane à l’acropole, constituée par le plateau de la Chaux des Crotenay.
Sans doute existait-il d’autres fortifications extérieures, mais elles n’ont joué aucun rôle au cours du siège.
Le terme d’Oppidum appliqué à ce plateau naturellement fortifié, semble donc mal adapté. Il devrait littéralement qualifier la ville elle-même, et non la hauteur sur laquelle elle est construite.
Cependant, ce mot a été attribué à des places très variées, installées depuis Hallstatt jusqu’après la conquête romaine ; l’on est donc un peu obligé de le conserver pour désigner l’éperon barré du plateau de Cornu / la Chaux des Crotenay, même si l’enceinte monumentale, retrouvée par endroits, ne délimite que la ville proprement dite, et non le massif auquel César applique ce substantif.
Il en est d’ailleurs de même pour l’oppidum wurtembergeois de Heidengraben, dans lequel la ville n’occupe qu’une surface de 150 hectares.
XII – Les conséquences du site
A) Pour Vercingétorix :
1) Le plateau peut loger tout son détachement, cavalerie comprise ; il y a de l’eau (sources) et de la viande (les Mandubiens ont rentré leurs troupeaux).
2) La forteresse le met, mieux encore que Gergovie, à l’abri d’un assaut.
3) Les à-pics qui bordent les flancs du massif et le barrage sud, économisent les défenseurs et permettent de n’entretenir des postes de défense qu’aux passages d’accès.
Ailleurs, on pourra se contenter d’un dispositif de guetteurs et de réserves prêtes à contre-attaquer, ou à boucher les trous.
4) La circulation sur le plateau est aisée et permet de soutenir les points menacés.
5) La situation de l’oppidum interdit à César l’utilisation des deux routes possibles vers le col de la Givrine et Genève qui passent de chaque côté des positions gauloises.
6) L’oppidum constitue, de plus, une bonne base de manœuvre – grâce à ses sorties sud – pour intervenir, par le plateau du Grandvaux, vers la route de la vallée de l’Ain, éventuellement vers la route de Pontarlier
.
B) Pour César :
La forteresse lui barre la route, en lui interdisant l’itinéraire direct vers Genève : Qu’il passe sur le chemin de l’Ouest ou celui de l’Est, il est sûr d’y perdre au minimum sa logistique et son butin.
Impossible de monter un assaut : colline trop escarpée et absence de base de départ (sauf peut-être au sud, mais il faudrait pouvoir y aller à l’insu des Gaulois !).
Il ne peut empêcher Vercingétorix d’utiliser cette base de manœuvre, s’il décide de changer d’itinéraire, pour intervenir sur un des deux autres, en passant par les plateaux situés derrière lui,.
Le tracé de la route de Genève n’influe pas sur la suite de la campagne. Qu’elle passe à l’Est ou à l’Ouest la situation de l’oppidum en interdit l’utilisation, car depuis ce sanctuaire, Vercingétorix peut intervenir sur l’un ou l’autre des itinéraires tout proches, harceler les colonnes romaines, leur infliger des pertes lourdes, saisir ou tuer leurs bêtes de somme, et piller leurs bagages.
Tout au plus, l’existence de l’itinéraire Est, qu’il soit la route principale ou un chemin secondaire, ajoute peut-être une raison à l’implantation du camp Nord, César ne pouvant faire autrement que contrôler de près cette voie, qui, outre qu’elle lui permettait des liaisons avec la Province, pouvait surtout constituer le chemin d’arrivée de l’armée de secours
Si le proconsul retient la solution « siège » :
1) Les « praerupta », qui bordent les rives extérieures des rivières, font l’économie d’une contrevallation étoffée. La falaise sud « sous Malvaux » remplace, pour ainsi dire, la circonvallation. Ces portions de fortifications pourront – dans un premier temps – se limiter à des « Brachia » (chemins couverts) parsemés de castella.
2) Les points vulnérables des lignes de défense romaines seront :
a). La plaine nord vers l’extérieur et vers l’intérieur – Grâce aux dieux, elle est étroite.
b). La combe de Crans, entre la montagne nord et les praerupta Est (vulnérable des deux côtés, mais surtout vers l’extérieur).
c). L’ensellement de la Billaude, à l’ouest, débouché du plateau de Pillemoine, et de la trouée qu’emprunte la R.N.5 venant de Cizé (vulnérabilité par rapport à l’extérieur).
d). L’Entre-Deux-Monts, éloigné du centre de gravité de l’armée, et dont le relief tourmenté de la partie orientale, rendra difficile la fermeture extérieure à hauteur des Planches-en-montagne.
3) Le caractère coupé et montagneux de la région camouflera les détachements partis aux vivres et au fourrage ; l’habitat en montagne est dispersé et favorise ces rapines.
(4) Telles qu’on peut les deviner aujourd’hui, sans avoir pu effectuer de fouilles précises, les lignes de défense romaines semblent présenter deux ensembles :
Ø l’Entre-Deux-Monts au sud.
Ø Un croissant nord incluant Châtelneuf, le Vaudioux, la plaine de Syam et l’ensellement de Crans jusqu’au Bois des Chênes.
Du Morillon à la Billaude, à l’ouest, et des Planches en Montagne jusqu’au Bois des Chênes le long de la Côte Chaude à l’est, des « brachia » semés de « castella » et d’obstacles aux points sensibles, ont pu suffire aux communications et au contrôle des praerupta.
C) Pour l’armée de secours
Malheureusement, ce qui fait la force de cette forteresse contre un assaut, va jouer contre l’armée gauloise venue la délivrer d’un siège.
1) La nature du terrain interdira aux chefs de l’armée de secours de voir la totalité du théâtre des opérations, donc de concevoir et diriger une bataille d’ensemble.
2) L’exiguïté de la plaine nord canalisera les attaques et empêchera les Gaulois de profiter de leur supériorité numérique.
3) Les praerupta vont interdire des assauts combinés et simultanés des deux lignes de défense.
4) César combattra sur lignes intérieures vis à vis de l’armée de secours, tandis que les détachements de cette dernière ne pourront – une fois lâchés – ni être soutenus, ni être avertis de l’évolution de la situation.
Légende.
- 1- Oppidum d’Alésia - 9 – La chaux-du-Dombief
- 2 – Itinéraire Ouest (de Girardot) - 10 – Saint-Laurent en Grandvaux
- 3 – route des diligences N°1- - 11 – Borg-de-Sirod
- 4 – route des diligences N°2- - 12 - Crans
- 5 – Itinéraire Est (de H. Carrez) - 13 – Les Planches
- 6 – Cize - 14 - Foncine
- 7 – La Billaude - 15 – Fort-du-Plasne.
- 8 – Pont-de-la-Chaux
1) Les faibles ressources de la montagne et l’habitat dispersé limiteront les possibilités de ravitaillement, donc la durée de l’intervention de l’armée de secours (la région aura d’ailleurs été sévèrement ratissée par César depuis plus d’un mois).
XIII – Le siège
A / Déroulement.
1) Les tout premiers jours, Vercingétorix n’y croit pas : il en reste à l’idée de manœuvre affichée par César, « Rejoindre la Province », et à la sienne, « Affaiblir les colonnes romaines pendant leur trajet, en leur interdisant tout ravitaillement, et en leur causant des pertes chaque fois que ce sera possible ». Pour lui, les travaux qu’entament les Romains sont destinés à masquer un départ vers Nantua ou Pontarlier, et à appuyer un combat retardateur permettant aux équipages de César de prendre de l’avance.
2) Dès qu’il s’aperçoit que les ouvrages vont l’empêcher de savoir à quel moment César se mettra en route, il décide de desserrer l’étau pour reprendre sa liberté d’action, et livre un combat de cavalerie dans la plaine. L’intervention des germains enlève de nouveau la décision.
3) C’est alors, devant l’ampleur et la généralisation des travaux, qu’il se rend compte que César a changé d’intention : il veut l’assiéger
4) Vercingétorix va essayer de tourner cette situation nouvelle à son avantage : puisque César est immobilisé en Gaule par ce siège, il est possible de le coincer entre les assiégés et une armée
extérieure
NOTA. A ce moment de l’Histoire, Vercingétorix a encore le choix : il peut accepter le siège, ou filer par l’Entre-deux-monts vers le plateau de Grandvaux, pour continuer, toujours positionné entre César et la Province, sa politique de harcèlement de la colonne romaine, et ce, quel que soit l’itinéraire qu’empruntera le Proconsul.
Pourquoi a-t-il choisi de rester ?
a/ Ce qui a probablement enlevé sa décision, c’est qu’il a pensé que le nombre suffirait à écraser César, lorsque l’Armée de secours serait arrivée.
Il n’avait encore jamais vu des travaux de l’ampleur de ceux que réaliseront les Romains et n’a pas compris les effets de canalisation qu’imposerait, aux attaques de l’armée de secours, ce pays montagneux haché.
Il a sans doute espéré en outre, que celle-ci arriverait plus vite qu’elle ne le fit, et en tous cas, avant que les défenses romaines ne soient suffisamment avancées.
b/ Par ailleurs, la reprise des combats de harcèlement a dû lui paraître plus hasardeuse que la bataille générale menée avec toutes les cités de la Gaule. En effet, la tactique prévue par Vercingétorix, pour user et casser la colonne romaine, reposait sur la suprématie de sa cavalerie. Celle-ci semblait acquise depuis le ralliement des Héduens au printemps, lorsque César en était réduit aux cavaliers organiques des légions et aux quelques alliés tirés de la Province, comme le détachement allobroge des frères Roucillos et Ecos, qui déserteront devant Dyrrachium (B.C III, 59 et 60)
Depuis Crotenay, Vercingétorix sait que le Romain dispose maintenant d’une troupe de Germains qui, par deux fois, a pris le dessus sur sa propre cavalerie, en majorité héduenne.
Celle-ci vient de se faire étriller dans la plaine des Forges ; elle a subi des pertes et doit soigner ses blessés ; son moral, d’autre part, est certainement atteint. Autant Vercingétorix a confiance dans son infanterie en majorité arverne, autant sa foi dans la cavalerie qui l’accompagne doit être ébranlée par les deux volées qu’elle vient d’essuyer des mains d’une troupe moins nombreuse qu’elle. Les effectifs importants d’Héduens dans cette cavalerie, dont certains des principaux chefs ont préféré, à Crotenay, se rendre plutôt que se faire tuer sur place ou continuer la campagne, n’est pas faite pour améliorer le crédit qu’il accorde à cette arme, indispensable à sa stratégie de harcèlement.
Cette cavalerie n’est sans doute pas en état – pour le moment – de porter, dans le Grandvaux et au-delà, tout le poids de la tactique de harcèlement imposée par la stratégie de l’Arverne.
c/ Celui-ci n’a pas beaucoup de temps pour se décider : la contrevallation n’est pas encore terminée mais elle ne tardera pas à isoler l’oppidum, (B.G. VII, 71). Il faut, sans attendre,
- ou quitter Alésia et se replier sur le Grandvaux avec une cavalerie convalescente, éprouvée par ses deux récentes défaites, et incapable d’assurer, dans l’immédiat, la mission qui sera la sienne dès que l’Arverne aura quitté l’abri du plateau ;
- ou prendre le risque du siège.
C’est cette solution que choisit Vercingétorix.
d) Sur un tout autre plan, il n’est pas impossible qu’en même temps qu’il ordonnait la levée en masse du pays, le chef gaulois ait prescrit de ramener des unités montées organisées et entraînées « à la germanique », avec des fantassins légers au milieu des cavaliers, afin de faire pièce aux escadrons ubiens, qui semblaient tirer de cette combinaison, leur actuelle supériorité.
5) Vercingétorix renvoie sa cavalerie, convoque l’armée des Gaules et commande la rapidité : il a peu de vivres, et il importe de livrer la bataille décisive avant que les Romains n’aient terminé leurs lignes de fortifications.
6) Lorsque César est mis au courant du départ des cavaliers et des consignes de mobilisation, il décide des travaux de circonvallation.
7) L’armée de secours arrivera après environ quarante cinq jours de siège.
B / Les lignes de fortifications et les camps
1) Les fortifications (contrevallation ayant pour but d’enfermer les assiégés, ou circonvallation destinée à protéger César de l’armée de secours) sont des ouvrages défensifs : c’est là que l’on se bat.
2) Les camps sont les endroits où dorment les légions : par une, par deux - voire par fraction de légion pour les troupes ayant à défendre des fronts très étirés (praerupta Est et Ouest, ou secteur Sud) : en font sans doute alors partie les Castella dont parle César.
3) Bien entendu, lorsque le terrain le commande ou s’y prête, les camps seront adossés aux fortifications, afin d’atteindre deux objectifs :
- Economiser les travaux en s’abstenant de construire deux lignes de fortification parallèles, là où une seule peut suffire.
- Eviter éventuellement, que des soldats apeurés ne considèrent ces camps intérieurs comme des « réduits » sécurisés, et n’abandonnent les lignes de défense, pour s’y réfugier.
4) La confusion des camps et des fortifications n’est pas un axiome nouveau ; elle provient des Alisiens qui ont centré leurs discours sur le « camp nord » de peur d’avoir à préciser le tracé incertain de leurs lignes de défense à l’entour du Mont Réa.
5) César a mentionné une montagne au nord de l’oppidum (B.G. VII, 83) où la géographie l’avait obligé à implanter des camps sur un terrain non habituel. Il cite de nouveau ces derniers au même paragraphe, pour désigner la direction que prend l’attaque de Vercassivellaunos, lorsque l’Averne sort - selon nous - de l’abri de la Côte Poire, au sud de Sirod.
Dans le déroulement des combats, le Romain ne parle jamais d’affrontements sur les camps, mais sur les ouvrages (B.G. VII, 81 – 82 – 84 – 85 – 86 – 87 – 88).
6) Suivant le texte, les camps (B.G.VII, 69) ont, apparemment, été installés définitivement après :
- Le tracé de la contrevallation ;
- Et la répartition des secteurs entre les légats responsables (aux limites près, qui auront pu être ajustées ultérieurement)
- Mais avant que n’ait été décrétée la construction d’une circonvallation.
Leur emplacement est donc conditionné par l’adaptation du terrain (opportunis locis) à l’installation d’un camp d’une part, et par les facilités offertes pour la desserte du secteur de combat dévolu, sur la ligne de siège (contrevallation), à la troupe hébergée dans ce camp, d’autre part.
Les problèmes spécifiques de défensive ne sont pas résolus par l’implantation des camps, mais sont traités par le tracé de la fortification elle-même (avec ses pièges, fossés, chausse-trappes…etc.…établis en avant), et par les missions données aux troupes hébergées dans ces camps, et dans les 23 castella (ou dix-huit, suivant certains manuscrits.) installés à proximité des endroits jugés dangereux.
7) La circonvallation fut construite plus tard, en tenant compte :
- des possibilités défensives offertes par le terrain pour arrêter un assaut venant de l’extérieur ;
- de la proximité des camps (*) déjà installés, hébergeant les troupes qui allaient recevoir la mission d’interdire cette fortification ;
- du souci de ne pas allonger exagérément le périmètre de cette seconde ligne, afin de limiter les travaux et restreindre l’effectif des défenseurs.
Bien que César ne le précise pas, d’autres castella furent probablement construits aux emplacements commandés par le terrain et la tactique (le proconsul parle [B.G.VII, 74] d’une seconde ligne de même nature que la première : pares ejusdem généris munitiones).
. Certaines des redoutes, précédemment édifiées pour la contrevallation, servirent probablement aussi à la défense de la seconde ligne.
8) Quel était le rôle des castella ?
- Logement permanent d’un certain nombre de cohortes, détachées de la légion, pour prendre en compte, à temps plein, un secteur de la ligne de défense et/ou des missions de contre-attaque ?
- Poste avancé, occupé successivement par des unités régulièrement relevées, chargées d’une mission défensive de courte durée, et retrouvant ensuite leur cantonnement du camp de légion, et d’autres missions ?
- Poste fortifié, abritant par temps calme un faible effectif de surveillance, et occupé - en cas d’alerte - par une unité chargée d’une mission défensive sur le secteur ?
- Poste de surveillance chargé de contrôler l’étanchéité d’une ligne de défense, et de faire appel en cas de tentative de franchissement, à une réserve placée en arrière ?
Suivant les emplacements, ces quatre utilisations ont pu être envisagées par les Romains.
Quelle qu’ait été l’hypothèse retenue, même si ces redoutes étaient occupées de jour par des postes de surveillance légers chargés d’avertir d’une incursion inopinée sur les fortifications, l’effectif de nuit devait être plus important(B.G.VII,69). Il est évident que les légionnaires ont été massivement employés, durant la journée, aux travaux de fortification.
(*) Si l’on suit César, aucun « camp » supplémentaire ne fut installé à l’occasion de la mise en place de cette fortification.
On peut cependant se poser la question pour le fameux camp nord !
Dans l’hypothèse de la seule contrevallation, il ne se justifierait que comme zone de desserrement,
ou comme bivouac d’une réserve,
ou comme logement destiné à une troupe ayant mission de surveillance éloignée dans la zone Est de l’oppidum (avec son symétrique à la scierie de la Billaude, pour la couverture Ouest).
Ce camp nord aurait pu, à l’annonce de l’appel d’une armée de secours, recevoir alors une deuxième légion.
*
C / L’organisation du blocus et l’implantation des troupes.
1 / - La contrevallation.
César n’a pas pu concevoir sa contrevallation, sans penser à une éventuelle deuxième ligne de défense tournée vers l’extérieur.
Il n’en reste pas moins que le texte raconte, dans l’ordre :
- L’arrivée devant Alésia, le lendemain de l’embuscade de Crotenay (BG VII, 68)
- La reconnaissance de la position, et la décision d’entreprendre le siège (BG VII, 68)
- Le commencement des travaux sur la contrevallation, en même temps que l’installation du camp central, et des 23 (ou 18 ?) castella (BG VII, 69)
- Le premier combat de cavalerie (BG VII, 70)
- Le renvoi de la cavalerie gauloise et la convocation de l’armée de secours (BG VII, 71)
- Le lancement de la ligne de circonvallation (BG VII, 74), mais seulement après que le proconsul ait décrit en détail les travaux de contrevallation, et précisé qu’on avait, d’abord, fini la ligne d’investissement.
César, par ces observations, semble indiquer qu’il a pris le temps de la réflexion avant d’entreprendre la circonvallation.
Elles pourraient signifier aussi, que si les travaux du blocus ont commencé dès que fut prise la décision d’assiéger Alésia, l’organisation du commandement et la répartition exacte des troupes n’ont été décidées, que lorsque fut confirmée l’hypothèse de l’arrivée d’une armée gauloise.
Les travaux des premiers jours n’auraient pas, alors, été obligatoirement exécutés par les cohortes qui seraient plus tard chargées de leur défense ; Ce n’étaient encore que des corvées de « gros » : approvisionnement en bois, creusement de fossés, édification de l’agger… et, en même temps, rafle des approvisionnements non rentrés par les Mandubiens.
Les ordres d’implantation de l’ensemble des castella (et peut-être, mais c’est moins sûr, de certains camps), le découpage en secteurs, la définition de leurs limites et l’organisation du commandement, ne furent donc pas énoncés, à l’arrivée devant Alésia, aussi génialement que cela semble ressortir d’une première lecture, et il y eut certainement des remaniements entre les ordres du premier jour et l’organigramme final.
Il faut cependant garder à l’esprit, que César, lorsqu’il a jeté sur le terrain la ligne d’investissement d’Alésia :
- ne pouvait entasser ses légions sur des espaces trop étriqués, et devait, par ailleurs, rapprocher les légionnaires du lieu de leur mission : il a donc été obligé d’écarter certaines unités de la terrasse de Syam.
- a pensé à protéger ses installations d’incursions extérieures (quand ce ne serait que pour couper les communications de la Gaule libre avec les assiégés ; de plus, il était en pays Séquane hostile).
- a aussi obligatoirement conçu l’implantation de certaines unités pour contrôler les routes Est et Ouest qui étaient reliées à l’intérieur de la Gaule. Cette surveillance justifierait à elle seule, l’implantation du camp nord à un endroit susceptible de contrôler la route : Equevillon – Crans - Les Planches-en-Montagne.
- ne pouvait perdre de vue la possibilité d’un secours massif des cités, à échéance plus ou moins lointaine.
- a donc réservé dans sa tête, ou plus probablement dans les papiers de son état-major, le tracé d’une éventuelle circonvallation, et ses conséquences sur les dispositions générales de la défense.
Vouloir décrire l’organisation définitive, dès le lendemain de la reconnaissance, c’est faire de la prophétie après coup : Le plan de manœuvre initial devait comporter des « Soit.., Soit… »
Croire que César a pu donner les ordres d’investissement, puis, quelques temps après, mettre sur pied la défense finale sans toucher un iota de la première organisation, qui ne prévoyait pas de menace extérieure sérieuse, est tout aussi naïf.
La seule chose que nous pouvons espérer approcher aujourd’hui, ce sont les dispositions finales, que l’on peut essayer de déduire du récit des dernières batailles.
2 / - L’implantation des troupes
- 21/- Le texte semble indiquer deux légions dans l’ensellement de Crans et deux autres dans la plaine. Ces quatre corps ne sont mentionnés, durant les combats du siège, que dans leur mission de défense de la circonvallation, mais cela n’exclut pas des attributions plus étendues.
- 22/- Le flanc nord-ouest des lignes romaines est menacé par deux cheminements inégalement dangereux :
- L’un venant de Cizé, entre le Surmont et le mouvement de terrain dit La-Liège (c’est l’itinéraire aujourd’hui suivi par la R.N.5 au sud de Champagnole) ;
- L’autre empruntant le val de Pillemoine, mais d’abord plus difficile lorsqu’on vient de l’ouest.
Tous deux débouchent sur l’ensellement de la Billaude, qui peut constituer un accès entre les deux lignes de défense romaines.
Deux légions semblent nécessaires à l’interdiction de cette zone, tant face à la contrevallation (entre le confluent Lemme/Saine et la croupe sous laquelle passe le premier tunnel de la voie ferrée venant de Champagnole) que contre une menace extérieure débouchant du nord-ouest.
- 23/- L’Entre-deux-monts est un secteur majeur du siège ; 2000 ans après, on a tendance à l’oublier, parce qu’il ne s’y est rien passé en -52, mais :
- C’est probablement par là qu’est sortie la cavalerie gauloise (ou par Pont-de-la-Chaux).
- C’est aussi là que passent deux routes, qui relient vers l’Est et vers l’Ouest, l’oppidum au plateau de Grandvaux, et permettraient à Vercingétorix de sortir du siège, pour, éventuellement, continuer la stratégie qui lui a réussi depuis le début de la retraite romaine.
- Cette zone comporte, aux extrémités par où arrivent les routes mentionnées ci-dessus, des ouvertures difficiles à barrer, surtout l’entrée orientale : des renforts et des vivres pourraient parvenir aux assiégés, et prolonger le siège au-delà des capacités romaines de ravitaillement.
- C’est surtout un secteur sensible pour César, à cause de son isolement, et de la difficulté des communications qui permettraient l’acheminement rapide des renforts.
Pour ces raisons, l’affectation de deux légions y parait indispensable
Nota. César aurait pu faire l’impasse sur le coté Sud de l’oppidum et se contenter de le surveiller. Il était joueur, mais son échec de Gergovie l’avait rendu prudent et il a certainement étoffé la garnison de cette face.
- 24/- Cela correspond à un total de huit légions.
Si l’on considère qu’une légion est nécessaire pour le contrôle du flanc Est, et une autre pour le flanc Ouest, il devrait rester un corps.
Celui-ci peut avoir été utilisé à deux missions possibles :
- Assurer l’interdiction de la contrevallation de plaine entre la cascade de la Billaude et les praerupta situés à l’est du Pré-Grillet (Dans ce cas les deux légions de Trébonius et de Marc Antoine seraient chargées de la seule circonvallation de plaine, et un coordinateur commanderait l’ensemble des trois légions (Labienus ?).
- Ou constituer une réserve d’armée susceptible d’intervenir au profit de la plaine ou de Crans, les deux secteurs les plus exposés, voire sur la Billaude.
- 25/- La cavalerie.
Elle a visiblement été – tout au moins les Ubiens – conservée en réserve d’armée ; Elle est intervenue dans la plaine de Syam, et a effectué le mouvement tournant de la combe de Crans, qui a décidé du sort de la dernière journée. Il faut probablement chercher son casernement au sud du village de Syam, à portée de la rivière, dans le secteur dominé par le Bois des Lacs.
3 / - L’hébergement des troupes.
Lorsque César parle de Castra, il s’agit, en principe, du cantonnement d’une légion ou plus ; Pour un effectif moindre, il emploie d’ordinaire le mot castellum, voire praesidium.
Dans ce texte, il n’utilise que les deux premiers termes.
Pour trois emplacements, il parle de castra ; les deux premiers sont connus :
a) – Le camp de la plaine (B.G.VII, 69 et 83), bien placé, il héberge au minimum deux légions (peut-être une troisième et éventuellement la cavalerie).
b) - Le camp nord (B.G.VII, 83), mal situé, mais le proconsul n’a pas pu faire mieux : il abrite, en principe, deux légions, peut-être moins.
c) - L’autre (ou les autres) camp(s) supérieur(s) situé(s) dans le secteur La Liège-La Billaude : l’un se trouvait sans doute vers la scierie (il assurait le service de la contrevallation, avec peut-être un castellum sur la terrasse 609, au sud de la Billaude), l’autre (si les troupes de circonvallation avaient été regroupées) devrait être recherché vers les Molards.
Il est cependant possible que les forces barrant les directions de Cizé et de Pillemoine aient été réparties entre plusieurs castella ventilés sur les Molards, la croupe nord du Vaudioux, et le-Bois-dit-la-Liège.
d) - Les troupes tenant l’Entre-Deux-Monts devraient occuper soit deux camps, soit un camp, poste de commandement, et des castella destinés à rapprocher les unités de leurs postes de combat.
e) - L’implantation des troupes assurant la surveillance des secteurs latéraux, vu leur élongation, est plus difficile à définir.
f) - Les emplacements éloignés où l’on a cru déceler des vestiges de fortifications romaines – comme par exemple, le plateau de la Fullie, au dessus de Chatelneuf – pourraient avoir été des postes avancés abritant des détachements de surveillance (infanterie et cavalerie) chargés de guetter face à l’ouest, l’arrivée de l’armée de secours, observer les mouvements d’éventuels francs-tireurs séquanes, et couvrir les corvées de bois et de ravitaillement.
Ces détachements auraient été repliés lors de l’arrivée de l’armée des Gaules.
D’autres éléments similaires devaient contrôler la plaine de Champagnole vers le nord, la direction de Nozeroy à l’est, et le Grandvaux, au sud.
Les murs isolés dans lesquels certains ont cru voir des positions avancées, ne correspondent à rien de ce qu’on sait de la défensive romaine à la fin de la République, ni de ce qu’on peut imaginer dans ce domaine.
D / La répartition des missions
Plusieurs possibilités d’articulation de l’Armée peuvent être envisagées :
- a) Une articulation « territoriale », attribuant la sécurité d’une zone (incluant contrevallation aussi bien que circonvallation) à un légat, qui disposera d’un effectif correspondant à la vulnérabilité estimée de son secteur :
- b) Une articulation « linéaire » séparant les missions sur la circonvallation, de celles qui interdisent la contrevallation.
- c) On peut aussi envisager une articulation « mixte », mélange de ces deux possibilités, en fonction du terrain et de la menace, suivant les secteurs.
Personnellement, je pencherai pour la première solution, à cause des dimensions de la couronne de fortifications qui encercle l’oppidum, du calendrier des opérations qui ont suivi l’arrivée du Proconsul à Alésia, et de certaines caractéristiques du combat dans l’antiquité :
1 / Les distances imposent l’autonomie de certains « commandements régionaux » : les secteurs de l’Entre-deux-Monts ou – dans une moindre mesure - de La Liège/la Billaude doivent être placés sous l’autorité unique de chefs, responsables de l’intégrité de leur zone. Ils ne pouvaient attendre immédiatement aucun secours important du général en chef, ni des unités voisines.
Il en est de même des secteurs plus ou moins linéaires Est et Ouest.
Une exception à cette règle pourrait avoir été faite pour deux quartiers plus sensibles : la plaine des Forges et la combe de Crans. Ces deux zones ont bénéficié de l’appoint de la cavalerie d’Armée et peut-être aussi d’une réserve d’infanterie conservée dans la main du général en chef. (C’est ce que pourrait indiquer l’arrivée de deux légats surnuméraires à l’instant critique dans la combe de Crans, (*) l’un peut-être tiré de la Côte Chaude, l’autre de la réserve centrale).
Ces deux quartiers, la plaine et Crans, auraient pu être regroupés en un « super-secteur » placé dans la main de César lui-même, ou d’un de ses lieutenants (Labienus ?).
(*) - L’existence d’une réserve centrale d’infanterie n’est pas prouvée : César n’en parle pas.
Les mouvements de fantassins que décrivent les § 86 et 87 n’avaient pas été obligatoirement planifiés ; ils ont pu être improvisés par Labienus, Fabius et César, qui auront prélevé des cohortes plus ou moins complètes sur des endroits proches, où la pression gauloise était moindre.
Cette réserve, si elle a existé, aurait pu fournir les secours demandés par Trébonius et Marc-Antoine, lors de l’attaque de nuit (B.G. VII, 81).
On pourrait aussi attribuer à cette réserve d’armée, les troupes menaçant le flanc des gaulois qui attaquaient la circonvallation lors du même combat de nuit. : Mais cette dernière hypothèse cadre mal avec le texte du § 82, qui loge ces forces sur les hauteurs de La Liège, emplacement peu indiqué pour des interventions dans la plaine ou la combe de Crans.
2 / Dès le début, l’arrivée de secours extérieurs a été envisagée par César, mais seulement comme une éventualité.
Dans l’ambiance tendue de l’organisation d’un siège, il lui eût été impossible - lors de l’annonce de l’arrivée prochaine de l’armée des Gaules - de remanier un dispositif linéaire, pour créer – derrière les premiers – de nouveaux secteurs sur la circonvallation, en leur affectant des troupes enlevées à la ligne de fortification intérieure. La défense de la contrevallation s’en fut trouvée désorganisée, et l’armée eût été démoralisée par ce qu’elle aurait considéré comme une manifestation de l’imprévoyance de son chef.
Le proconsul a donc sans doute été, tout naturellement, amené à introduire, dès le début, deux hypothèses dans l’élaboration de son plan de manœuvre :
- Une hypothèse basse, sans armée de secours, avec le seul souci du blocus.
- Une éventualité catastrophe, avec la perspective de se voir assailli de tous cotés, et en même temps, obligé de faire face aux sorties des assiégés.
La première hypothèse, la seule réelle au début (et la seule urgente), a donné lieu à des missions et une organisation provisoires, qui reçurent un commencement d’exécution.
3 / La perspective d’une bataille sur deux fronts, lorsque fut connue la convocation de l’armée des Gaules, a nécessairement entraîné des modifications dans le contenu des missions initiales :
- Renforcement en effectifs des zones vulnérables à des attaques extérieures (Crans, la plaine, la Billaude) ;
- Eventuellement, déplacement des limites latérales.
- Détachement temporaire, sans doute aussi, de travailleurs tirés des quartiers proches, pour participer aux travaux de défense de ces secteurs critiques.
- Rectification, enfin, des missions de contre-attaques ou de renforcement, prévues aussi bien à l’intérieur de chaque compartiment de terrain, qu’au profit des secteurs voisins.
Cependant une partie de ces changements est peut-être restée confinée dans les « cartons » de l’état-major romain, car les choses ont pu se passer de façon à la fois plus simple et plus complexe :
Si l’on date de J, l’embuscade de Crotenay,
De J+1, l’arrivée de César aux Forges et la reconnaissance de l’oppidum,
De J+2, la décision de faire le siège et l’installation des légions (qui n’étaient pas toutes rentrées la veille, dans la cuvette de Syam),
De J+3, au plus tôt, les premiers travaux d’investissement de l’oppidum,
On arrive à un combat de cavalerie vers J+6 ou J+7.
La nouvelle de la convocation de l’armée de secours n’arrive donc à César que vers J+ 8 ou J+9, quatre jours (ou cinq) après le début des travaux : ceux-ci ne devaient pas encore être très avancés, le problème des limites n’était pas encore aigu, et, tant que les chantiers n’étaient pas sécurisés, seules des missions provisoires avaient pu être fixées dans la plupart des secteurs.
Les ordres définitifs reçus par les troupes, n’ont donc pas eu le temps de beaucoup contredire les premiers.
4 / Une autre raison peut avoir amené César à choisir une répartition territoriale des missions.
En effet, dissocier les commandements des deux lignes de fortifications dans un secteur donné, risquait d’entraîner des conflits de commandement (*) et s’avérait presque infaisable dans des zones comme l’Entre-deux-Monts, la Côte Chaude et la Renvoise, où n’existait par endroits, qu’une seule ligne fortifiée ( La seconde ligne de défense existe, bien évidemment, mais elle est discontinue et réduite à des ouvrages interdisant les cheminements qui permettent de franchir les praerupta ; des castella ont, très probablement, été édifiés à proximité de ces barrages).
La tranquillité d’esprit des légionnaires et de leurs chefs exigeait qu’ils soient délivrés de toute crainte sur l’éventuelle solidité de la troupe qui protégeait leurs arrières : la meilleure façon d’y parvenir consistait à rassembler ces missions dans la même main.
(*) Lors de l’attaque de nuit (B.G.VII, 81) , l’un des légats aurait supporté seul l’assaut sur la circonvallation, pendant que l’autre légion se croisait les bras en attendant l’arrivée des assiégés retardés par les pièges, et le transport de leurs matériels de franchissement. Le légat chargé de la contrevallation aurait certainement hésité – s’il avait été autonome - à envoyer au secours de son collègue, des renforts qu’il était certain de ne pouvoir récupérer à l’arrivée des hommes de Vercingétorix.
5 / Cette observation impose de disposer les deux lignes de fortification suffisamment proches l’une de l’autre, pour qu’elles puissent rester sous le contrôle du commandant de secteur, mais de les construire à une distance suffisante, pour que la défense de l’une ne gêne pas les combats sur l’autre.
La nécessité, pour des raisons d’effectifs de défenseurs, de ne pas distendre le périmètre de la circonvallation, tend à rapprocher cette ligne de la première.
En règle générale, le terrain imposera le tracé d’une au moins de ces lignes.
6 / La présence de plusieurs légats sur la même zone ne traduit pas l’autonomie de ces personnages, mais indique plus probablement les légions qui y étaient stationnées.
- L’un des légats avait autorité sur l’autre (ou les autres).
- Si Labienus ne commandait aucun de ces deux secteurs, Trebonius avait sans doute la responsabilité des deux légions de la plaine (Marc Antoine lui était subordonné), et Rebilus dirigeait peut-être le secteur de la combe de Crans.
E / Les limites de secteur.
1/ Le caractère coupé du terrain, qui empêche les vues, et la dimension des deux lignes de fortifications interdisent un commandement unique du siège.
César le dit, lorsqu’il distingue la zone de Crans, assignée à Rébilus et Réginus, et celle de la plaine confiée à Trébonius et Marc Antoine.
On peut supposer quatre autres secteurs déterminés par la topographie :
- L’ensellement de la Billaude, à l’ouest ;
- L’Entre-Deux-Monts, au sud ;
- Et les deux vallées encaissées de la Saine et de la Lemme.
2/ Cette division n’est pas impérative, on pourrait en concevoir d’autres ; Par exemple celle-ci, qui est influencée par les praerupta enserrant les rivières : Leur caractère difficilement franchissable aurait pu inciter les Romains à y placer les séparations entre le secteur du nord et celui du sud.
Le nombre des quartiers aurait alors été limité à quatre, la responsabilité des légats commandant à Crans et à la Billaude, poussant au sud jusqu’à La Pussine à l’est, et la croupe des Belettes à l’ouest ;
À ces deux points, ils auraient jouxté le secteur de l’Entre-Deux-Monts
Nota 1 : La limite entre deux commandements est toujours, dans une ligne de bataille, un maillon faible, dont l’ennemi peut essayer de profiter ; Placer ces points de fragilité dans une zone déjà pourvue de défenses naturelles devient alors tentant.
Nota 2 : Cependant, en défensive, l’efficacité impose la plupart du temps de coupler commandement et compartiment de terrain : l’homogénéité territoriale entraîne des modes de combat identiques, les vues permettent d’embrasser l’ensemble du quartier, et à l’intérieur de celui-ci, on peut réserver ou aménager les communications nécessaires aux contre-attaques, au déplacement des renforts et à l’acheminement de la logistique.
Le partage en six quartiers exposé au § 1/, parait mieux répondre à ces impératifs, que la division évoquée en 2/.
3/ Quant à déterminer les séparations exactes entre les différents secteurs, il faudrait pour y parvenir, connaître avec certitude :
- Le nombre de légions dont disposait César ;
- Leur répartition sur le terrain ;
- L’effectif de chacune d’elles ;
- La valeur, à l’été 52, de ces corps, compte tenu de leurs pertes dans les batailles du début de l’année, et de leur pourcentage de recrues (La 8 et la 9, malgré leur ancienne réputation, doivent avoir souffert de la défaite de Gergovie).
- Le crédit qu’accordait César aux légats auxquels il confia les différents commandements
XIV - Les batailles finales
Il y en eut trois :
A) Le dernier combat de cavalerie
Huit mille cavaliers gaulois de l’armée de secours chargent dans la plaine des Forges : ils la couvrent entièrement (elle est étroite au nord, et les travaux de circonvallation l’ont raccourcie au sud). L’exiguïté du terrain favorise la mission défensive des cavaliers romains. L’infanterie gauloise se place en recueil à la sortie nord, et en spectatrice sur les pentes de la Côte Poire et de la forêt de Sapois.
Après une bataille indécise tout l’après-midi, César fait donner en bloc sa réserve de Germains, qui rompt la cavalerie gauloise. (A noter que celle-ci a utilisé le procédé germain de mêler de l’infanterie aux cavaliers).
B) L’attaque de nuit, deux nuits plus tard
Deux assauts convergents dans la plaine, de l’extérieur et de l’intérieur.
Les assiégés ont perdu du temps à transporter du matériel de franchissement – pour passer les obstacles que du haut de l’oppidum, ils ont vu les Romains installer en avant de l’agger de contrevallation - et ils ne pourront arriver au vallum avant le lever du jour.
L’armée de secours, après des pertes sévères sur les obstacles, n’a pu enfoncer la circonvallation avant l’aurore.
Ce secteur de la plaine était défendu par les légions de Marc Antoine et de Trebonius.
A l’aube, l’armée de secours se retire, craignant, sur son flanc droit, une intervention des troupes stationnées sur les hauteurs (B.G.VII, 82).
NOTA : De deux choses l’une :
- ou les Gaulois connaissaient cette menace, venant des hauteurs du Bois-dit-la-Liège, avant d’engager le combat de nuit, mais ils la savaient inopérante avant le jour,
- ou ils l’ont découverte au cours de l’attaque.
Dans les deux cas, le fait de n’avoir pas lancé sur la direction Cizé-Le Vaudioux-la Billaude, une attaque visant :
- dans le premier cas, à fixer les forces romaines de cette zone,
- dans le second, à opérer une diversion par la Billaude, pour soulager leur effort principal dans la plaine,
témoigne, de la part des chefs de l’armée de secours, soit d’un optimisme exagéré, soit d’une légèreté coupable.
Dans les deux cas aussi, on aurait peut-être là l’explication du passage (B.G.VII, 81) où César raconte que Trébonius et Marc Antoine ont tiré des renforts de castella « plus éloignés de la ligne de feu : ultérioribus »
Cela pourrait signifier que les deux légats ont demandé du secours au secteur nord-ouest (La Billaude/Forêt-dit-la-Liège), qui – à priori – ne devait pas être sous leur commandement.
{L’éventualité d’avoir tiré des cohortes du secteur de Crans, n’est pas envisageable : c’est un quartier presque uniquement tourné vers l’extérieur ; César, qui semble avoir été surpris par cette attaque – autant d’ailleurs que le fut Vercingétorix, ce qui explique sans doute le retard de ce dernier – n’aurait pas permis qu’on dégarnît ainsi un secteur qui pouvait être attaqué d’un moment à l’autre).
Ce serait l’apparition des premiers éléments des cohortes, débouchant sur leur droite, dans les bois sur les pentes de la Liège, qui aurait déterminé la retraite gauloise.
L’attaque de la circonvallation de nuit, aurait donc été suffisamment efficace, pour que les deux légats Trébonius et Marc-Antoine aient craint d’être débordés, au point même de crier au secours.
Du côté romain, on ne peut cependant pas exclure qu’une mission secondaire, de renforcement du secteur de la plaine, et/ou de contre-attaque en direction de l’est, à l’extérieur de la circonvallation, ait été - dans le plan de défense de César – assignée aux troupes occupant le Bois-dit-la-Liège. Cette demande de Marc Antoine eût alors été conforme au plan de manoeuvre du proconsul.
C) L’attaque du dernier jour
1) Vercassivellaunos, avec 60.000 hommes, contourne la Côte Poire, et, par l’ensellement de Crans, se rue sur la circonvallation Nord-Est défendue par les légions des légats Caïus Antistius Reginus et Caninus Rebilus.
2) La cavalerie gauloise effectue une gesticulation dans la plaine pour y fixer la cavalerie romaine. Mais la suite prouve qu’elle n’a pas réussi.
Notons que l’infanterie gauloise, sans doute échaudée par l’échec de l’attaque de nuit, s’est contentée, dans la plaine, de son rôle de recueil et de spectatrice.
3) Vercingétorix attaque de l’intérieur, en direction de Crans, non plus par la plaine, trop machinée d’obstacles, mais par les praerupta à l’est du Pré Grillet.
Les deux attaques convergeant sur la combe de Crans réussissent.
César est obligé de ramasser toutes les réserves qu’il peut rassembler (tirées de la Plaine, et peut-être de la Côte Chaude) pour rétablir la situation, ce qu’il ne réussit, semble-t-il, que du côté des assiégés aux praerupta dominant la Saine.
N.B.1 Quel était le rôle de Labienus, le premier lieutenant de César ?
- Chargé de la contrevallation de plaine ?
- Responsable de l’ensemble des deux lignes dans la plaine de Syam ? Dans ce cas, le secteur de la Plaine eût sans doute compté trois légions : celles de Trébonius et de Marc-Antoine, et une autre, celle de Labienus.
- En réserve générale pour les secteurs de Crans, de la Plaine, voire de la Billaude ?
- Chargé du secteur Est, du Bois-des-Chênes aux Planches-en-Montagne ?
- Coordinateur de la défense de la combe de Crans (contre- et circon-vallation) ?
Toujours est-il que César lui fera exécuter la première contre-attaque « à l’allemande » de notre histoire (VII, 86) : replier les défenseurs de la ligne de fortification extérieure (circonvallation), s’il voit qu’ils ne peuvent résister à l’assaut de Vercassivellaunos, les regrouper en arrière, puis contre-attaquer avec eux, pour reprendre le terrain perdu, en profitant de l’instant de désorganisation de l’ennemi, lorsqu’il coiffera l’objectif conquis.
N.B. 2 Quel était l’observatoire (VII, 85) d’où César, revêtu de son manteau rouge, est descendu pour rétablir la situation compromise (VII, 88)?
La réponse est difficile :
- Remarquons d'abord que cela sent un peu son image de propagande : cette relation rompt avec la traditionnelle concision du récit césarien, et n’apporte rien au déroulement de la bataille.
- Que le Divin Jules ait revêtu son manteau rouge le matin lorsqu’il sentit que la bataille allait se déclencher, c’est très plausible : il avait le temps, le jour était décisif, c'était la coutume dans l'armée romaine, César possédait un grand courage physique, et la couleur du vètement le signalait de loin : Cela permettait aux estafettes, venant lui apporter des requètes ou des comptes rendus, de le repérer plus facilement.
Il ne le portait certainement pas lors de l‘embuscade de Crotenay, qui l’a probablement surpris en tenue de route, ce qui expliquerait qu'il ait pu être capturé puis relâché sans avoir été reconnu.
Le seul emplacement où l’on pourrait placer l'observatoire dont parlent les Commentaires, se trouve sur les pentes Nord Ouest du Bois des Chênes.
Il faut cependant remarquer qu'aucun point du terrain ne permet d'embrasser l'ensemble des compartiments de terrain où s'était déployée l'armée romaine.
Le bois des Chênes était obligatoirement tenu par les deux légions du Camp Nord comme amarre sud des fortifications qui barraient la combe de Crans (tenues au Nord-Ouest par les travaux de la côtePoire) et comme liaison avec les lignes de siège courant sur la rive droite de la Saine.
C'est le seul endroit d'où César pouvait voir à la fois - en se déplaçant quelque peu cependant - les évènements de la Plaine et les combats sur les lignes barrant la combe de Crans. Il s'y rendit lors qu'on lui signala l'arrivée à Crans des avant-gardes de Vercassivellaunos.
En outre, sa présence à cet endroit galvanisa les défenseurs lors de l'attaque de Vercingétorix (VII, 86) sur les praerupta du bois des Lacs, et lui donna le temps de rameuter les renforts qui rétablirent à cet endroit la situation (VII, 87).
De là, il se porta vers le sud de la Cote Poire, avec les cohortes qu'il avait rassemblées et une partie de sa cavalerie, (VII,88) pour épauler la contre-attaque qu'il avait prescrite à Labiénus.
Le bois des Chênes est en outre très probablement, le seul endroit par où ont pu passer les cavaliers germains allant prendre à revers les troupes de Vercassivelleunos ; Cependant, il est difficile d'être affirmatif sur ce point, le tracé des lignes romaines dans ce secteur étant mal connu.
4) Finalement, le proconsul fait sortir les cavaliers germains qui font un détour derrière Crans, et tombent dans le dos de Vercassivellaunos.
Cette manœuvre parvient à casser l’élan des Gaulois et à remporter la journée.
XV - Vercingétorix avait-il prévu de se faire assiéger dans Alésia ?
Je ne le pense pas : trop de choses concourent à démontrer qu’il ne l’avait pas envisagé.
a) Un indice, c’est qu’il n’a pas envoyé ses bagages (*) sur l’oppidum lors de l’embuscade de cavalerie dans la plaine de Crotenay. Il les a conservés (B.G. VII, 68) derrière l’Ain, car, en cas de succès de son embuscade, il pensait que César, devant la perte d’une partie de ses impedimenta, pourrait tenter d’emprunter, derrière la Côte de l’Heute, un autre itinéraire vers la Province (la Dombes vers le Sud, ou Pontarlier vers le Nord).
(*) Claude Delas pense que les bagages gaulois dont parle César, (B.G.VII, 68), sont en réalité le butin que vient de ramasser la cavalerie héduenne, dans la plaine de Crotenay.
b) S’il avait prévu le siège, il aurait entassé des vivres dans Alésia ; les Mandubiens ont rentré leurs troupeaux, mais ils ont été obligés de laisser les moissons en meules dans les fermes ou dans les champs (la moissonneuse-batteuse n’a été inventée que 2000 ans plus tard).
César a trouvé ces moissons. Vercingétorix n’avait, avec lui, que les trente jours de vivres emportés en prévision de la campagne de harcèlement, qu’il entendait mener de Chalon à la Province.
c) S’il avait prévu le siège, il aurait – pendant les deux mois où il a attendu que César sorte du pays lingon – pré mobilisé l’armée de secours.
Il lui aurait alors suffi – dès confirmation des travaux d’encerclement – de renvoyer sa cavalerie porter l’ordre : « Exécution du troisième temps ; arrivée impérative avant le dixième jour » : César était perdu : les deux lignes de contrevallation et de circonvallation n’auraient pas été terminées.
d) Vercingétorix ne pouvait prévoir quelle route emprunterait César ; il avait très probablement exclu la route normale.
Sur les autres, il avait reconnu des emplacements d’embuscades de cavalerie, avec une position de recueil en arrière, défendue par un obstacle, et un itinéraire de repli sécurisé par le terrain (pas forcément un oppidum), et des lieux favorables à des embuscades d’infanterie (cols, défilés et franchissements). Puis il avait attendu la mise en route des romains
Son sens tactique lui autorisait ces prévisions.
L’inorganisation gauloise et le système de renseignements de César ne lui permettaient pas d’emmagasiner en secret des vivres sur tous les itinéraires possibles.
XVI – La bataille pouvait-elle être gagnée ?
A ) Quelques remarques préliminaires
1) Le but de l’armée de secours était l’écrasement de l’armée romaine, avant que la faim n’oblige Vercingétorix à se rendre - et non le ravitaillement de la ville pour permettre aux assiégés de continuer la lutte.
2) Une victoire locale - par exemple au sud, dans l’Entre-deux-monts – aurait pu ravitailler les assiégés, mais n’aurait pas écrasé César.
Cependant le Romain, affamé, aurait dû se résigner à lever le siège, et la présence de l’armée de secours sur le Grandvaux aurait signé sa perte.
3) Au moment de l’arrivée de l’armée de secours, le bouclage était hermétique, puisqu’il n’y eut pas – apparemment – de communication entre les assiégés et l’armée extérieure.
4) L’armée de secours était une coalition et l’unité de commandement n’avait sans doute pu s’y établir : la vieille rivalité Arvernes / Héduens devait s’y exprimer violemment.
B) L’armée de secours pouvait vaincre
Les chefs gaulois ont été persuadés que leurs troupes étaient assez nombreuses pour écraser l’armée romaine ; c’était vrai, mais le terrain les a empêchés de mettre en application un plan qui, utilisant leur supériorité numérique, aurait pu réussir.
Il fallait en effet, mener simultanément cinq ou six attaques concentriques, conjuguées avec des sorties des assiégés sur les points correspondants de la contrevallation :
1) dans la plaine nord la multiplication des obstacles aurait sans doute limité l’attaque à une fixation des troupes romaines ;
2) Sur la combe de Crans et le Bois des Chênes : assaut.
3) Deux attaques sur la combe sud : l’une venant de l’ouest par Morillon, l’autre à l’Est aux Planches-en-montagne, associées avec une fixation des troupes tenant la circonvallation de la côte de Malvaux.
4) Une attaque sur le plateau de Pillemoine, en direction de la Billaude, couplée avec une offensive sur les installations du Bois-dit-la-Liège venant de Cizé.
5) Une interdiction de la circulation sur les secteurs Est et Ouest, afin de paralyser tout déplacement des renforts.
Une telle opération générale aurait empêché César de roquer ses réserves ; toutes ses cohortes auraient été occupées à parer les attaques extérieures de l’armée de secours et celles des assiégés à l’intérieur.
Comme ils l’ont réussi dans la combe de Crans, les Gaulois auraient rompu les défenses et le massacre des romains aurait suivi entre les deux lignes de fortification.
Seules l’attaque de Vercassivellaunos à l’Est de la Côte Poire, et celle des assiégés sur l’ensellement ont donné : elles ont percé toutes les deux, et César a dû faire appel à toutes les troupes disponibles à proximité.
Dans la plaine, il n’y eut qu’une démonstration de cavalerie, et César a pu garder ses Germains en ultime recours. En outre, l’infanterie de secours n’a rien tenté, ce jour-là, contre la circonvallation de plaine, permettant à César d’en tirer les cohortes qui l’ont sauvé du désastre.
D’après César, la majeure partie de l’armée des Gaules a attendu, et s’est débandée dès que les Ubiens eurent décidé du côté vers lequel allait pencher la victoire.
C) Pourquoi cet immobilisme ?
1) Trahison des chefs Héduens, jaloux de Vercingétorix ou achetés par les promesses de César ?
C’est la thèse des « Arvernes » et de nombreux celtisants ; des Alisiens aussi, car, seule, la trahison justifie l’immobilisme de l’armée de secours sur un terrain aussi facile et « visible » qu’Alise-Sainte- Reine.
Mais il n’y a pas de preuves.
2) Désaccord sur les tactiques à mettre en œuvre ? C’est possible : Au sein d’une coalition, les divergences d’intérêt pèsent lourdement sur la conduite des opérations.
3) Prudence de certaines cités peu concernées, qui ont attendu, avant de prendre une décision, de voir comment tournerait la bataille : massacre des Romains et pillage des camps, ou retraite ? Cela s’est vu.
4) Erreurs topographiques de colonnes égarées ou arrivées trop tard sur l’objectif. C’est possible : cf. Gergovie et la mission confiée aux Héduens par César.
5) Mais plus probablement, inefficacité du commandement gaulois, qui connaissait mal les lieux, et a été incapable de traiter le problème de cet oppidum, des abrupts qui l’entourent, et du relief montagneux qui empêche les vues et les liaisons entre les détachements (*)
Il n’a pas su sortir des endroits proches mais étriqués, où l’attaque était évidente – la plaine nord et la combe de Crans – donc zônes où César avait multiplié les défenses, et où il a pu contrebalancer leur supériorité numérique.
(*) Il faut remarquer qu’il n’existe aucun point haut, ni sur l’oppidum, ni à l’extérieur côté armée de secours, permettant de voir l’ensemble du site, ou même deux compartiments de terrain du champ de bataille.
D) Il y avait une autre solution.
C’était de faire réellement d’Alésia le fameux abcès de fixation, qu’a cru y voir le commandant Soulhol (Vers Alésia sur les traces de César et Vercingétorix. Interprétation stratégique et tactique de la Guerre des Gaules. H. SOULHOL et Pierre SARDIN. Paris 2000. Editions des Ecrivains).
Il fallait – après que César ait entamé le siège d’Alésia - lancer l’armée de secours sur la Province, derrière les troupes qui y avaient été envoyées au début de l’été par Vercingétorix. César n’aurait eu d’autre solution que d’abandonner le siège pour filer sauver « sa » Province :
Il aurait tenté de forcer le passage par Nantua et Bellegarde, ou par la Dombes et la Bresse. Vercingétorix aurait alors continué la manœuvre initialement prévue : attaquer sa colonne, s’emparer de ses bagages, massacrer ses isolés, l’user sur tout l’itinéraire pour finir par une embuscade sévère aux cols ou aux défilés du Jura, ou même au franchissement du Rhône.
César y perdait son butin, ses trains et beaucoup de monde : Sa carrière en eût été modifiée.
Notre histoire aussi : Ainsi que le suppose Louis Chevalier, nous aurions peut-être, comme l’Allemagne, attendu 1870 pour réaliser notre unité !
Marc Terrasson