En 57 avant J.C. par Jules César
Paris, mars 2006
Prologue
Ce texte est une œuvre à plusieurs mains, écrite par une équipe pluridisciplinaire , où chacun a traité de sa spécialité:
L’inventeur du site est Charles Griffith, (ENA), l’exégèse des textes latins ou grecs est d’Antoinette Brenet, agrégée de lettres classiques, les recherches et les articles géologiques sont de Claude Delas et Georges Donat, ingénieurs civils des Mines, et l’aspect militaire ainsi que la rédaction générale de Marc Terrasson, officier général (cr).
Nos remerciements vont à Madame Martine Delval, des Archives Municipales de Soissons, qui nous a en particulier fait découvrir le «Fonds Bernard Ancien», et à Monsieur René Houdry, expert géomètre à Soissons, qui nous a apporté l’aide précieuse de sa connaissance approfondie du terrain.
Marc Terrasson
Claude Delas et Antoinette Brenet sont aujourd'hui décédés .
I/ INTRODUCTION.
La bataille de -57 contre les cités belges révoltées, a été placée par le Commandant Stoffel à Mauchamp, vers 1862, parce qu’on y avait découvert un camp romain, et parce que l’archéologie et les recherches de géographie historique n’en étaient alors qu’à leurs débuts.
Cette implantation ne résiste pas, après les travaux plus récents d’Auguste Longnon et de nombreux historiens, à l’observation du terrain, et aux parallèles que l’on peut établir aujourd’hui, entre les récits anciens et la région de Berry-au-Bac.
Nos recherches permettent de proposer un site, au sud du «Chemin des Dames», sur la colline du fort de Condé, dont les caractéristiques historiques, géologiques et topographiques, répondent parfaitement aux détails des textes, et aux impératifs militaires de cet affrontement.
Après un rapide survol des textes, nous étudierons la thèse officielle de Mauchamps, puis proposerons la solution du plateau de Condé, pour finir par quelques explications sur les autres sites proposés et la modification des frontières religieuses de la région.
II/ LES TEXTES.
Cette bataille nous est connue principalement par deux auteurs: César et Dion Cassius.
César - BG II, 2 à 12 - (Traduction Constans.)
II, 2 César lève deux légions en Gaule
cisalpine, demande des renseignements sur la mobilisation et la concentration
des Belges, fait des provisions de blé,
et, dès qu’on peut faire du fourrage, rejoint en quinze jours les
frontières de la Belgique.
3
….Aussi les Rèmes qui sont le peuple de Belgique le plus près de la
Gaule, députèrent-ils à César, Iccios et Androcumborios, les plus grands
personnages de leur nation, afin de lui dire qu’ils se plaçaient, eux et leurs
biens sous la protection de Rome et sous son autorité : ils n’ont pas
partagé le sentiment des autres Belges, ils n’ont pas conspiré contre
Rome ; ils sont prêts à donner des otages, à exécuter les ordres qu’ils
recevront, à ouvrir leurs places fortes, à fournir du blé et autres
prestations ; ils ajoutent que le reste de la Belgique est en armes, que
les Germains établis sur la rive gauche du Rhin se sont alliés aux Belges,
qu’enfin il y a chez ceux-ci un tel déchaînement de passion, et si général, que
les Suessions même, qui sont leurs frères de race, qui vivent sous les mêmes
lois, qui ont même chef de guerre, même magistrat, ils n’ont pu les empêcher de
prendre part au mouvement.
4. César leur demanda quelles
étaient les cités qui avaient pris les armes, quelle était leur importance,
leur puissance militaire ; il obtint les renseignements suivants : La
plupart des Belges étaient d’origine germanique ; ils avaient jadis passé
le Rhin et, s’étant arrêté dans cette région à cause de sa fertilité, ils en
avaient chassé les Gaulois qui l’occupaient ; C’était le seul peuple qui,
du temps de nos pères, alors que les Cimbres et les Teutons ravageaient toute
la gaule, avaient su leur interdire l’accès de son territoire ; Il en
était resté que plein du souvenir de cet exploit, ils s’attribuaient beaucoup
d’importance et avaient de grandes prétentions pour les choses de la guerre.
Quant à leur nombre, les Rèmes se disaient en possession des renseignements les
plus complets, car, étant liés avec eux par des parentés et des alliances, ils
savaient le chiffre d’hommes que chaque cité avait promis pour cette guerre,
dans l’assemblée générale des peuples belges. Les plus puissants d’entre eux
par le courage, l’influence, le nombre étaient les Bellovaques : ils
pouvaient mettre sur pied cent mille hommes ; ils en avaient promis soixante
mille d’élite, et réclamaient la direction générale de la guerre. Les Suessions étaient les voisins des
Rèmes ; ils possédaient un très vaste territoire et très fertile. Ils ont
eu pour roi, de notre temps encore, Diviciacos, le plus puissant chef de la
Gaule entière, qui, outre une grande partie de ces régions, avait aussi dominé
la Bretagne ; le roi actuel était Galba. C’est à lui, parce qu’il était
juste et avisé, qu’on remettait, d’un commun accord, la direction suprême de la
guerre. Il possédait douze oppida*, il s’engageait à fournir cinquante
mille hommes. Les Nerviens en promettaient autant ; ils passent pour les
plus farouches des belges et sont les plus éloignés. Les Atrébates amèneraient
quinze mille hommes, les Ambiens dix mille, les Morins vingt-cinq mille, les
Ménapes sept mille, les Calètes dix mille, les Véliocasses et les Viromandues
autant, les Atuatuques dix-neuf mille ; Les Condruses, le Eburons, les
Caeroesi, les Pémanes qu’on réunit sous le nom de Germains, pensaient pouvoir
fournir environ quarante mille hommes.
5.
César encouragea les Rèmes et leur parla avec
bienveillance ; il les invita à lui envoyer tous leurs sénateurs et à lui
remettre comme otages les enfants de leurs chefs. Ces conditions furent toutes
remplies ponctuellement au jour dit. Il s’adressa d’autre part, en termes
pressants à Diviciacos l’Héduen, lui faisant connaître quel intérêt essentiel
il y a pour Rome et pour le salut
commun, à empêcher la jonction des contingents ennemis, afin de n’avoir à
combattre en une fois une si nombreuse armée. On pouvait l’empêcher si les
Héduens faisaient pénétrer leurs troupes sur le territoire des Bellovaques et
se mettaient à dévaster leurs champs. Chargé de cette mission, il le congédie.
Quand César vit que les Belges avaient fait leur concentration et marchaient
contre lui, quand il sut, par ses éclaireurs et par les Rèmes, qu’ils n’étaient
plus bien loin, il fit rapidement passer son armée au nord de l’Aisne, qui est
aux confins du pays rémois, et établit là son camp. Grâce à cette disposition,
César fortifiait un des cotés de son camp en l’appuyant à la rivière, il
mettait à l’abri de l’ennemi ce qu’il laissait derrière lui, il assurait enfin
la sécurité des convois que lui enverraient les Rèmes et les autres cités. Un
pont franchissait cette rivière. Il y place un poste, et laisse sur la rive
gauche son légat Quintus Titurius Sabinus avec six cohortes ; Il fait
protéger le camp par un retranchement de douze pieds de haut, et par un fossé
de dix-huit pieds.
6.
A huit milles de ce camp, était une ville des
Rèmes nommée Bibrax. Les Belges lui livrèrent au passage un violent assaut. On
n’y résista ce jour-là qu’à grand peine. Gaulois et Belges ont la même manière
de donner l’assaut. Ils commencent par se répandre en foule tout autour des murs
et à jeter des pierres de toutes parts ; puis, quand le rempart est
dégarni de ses défenseurs, ils forment
la tortue, mettent le feu aux postes et sapent la muraille. Cette tactique
était en l’occurrence facile à suivre, car les assaillants étaient si nombreux
à lancer pierres et traits, que personne ne pouvait rester au rempart. La nuit vint interrompre l’assaut ; Le
Rème Iccios, homme de haute naissance et en grand crédit auprès des siens, qui
commandait alors la place, envoie à César un de ceux qui lui avaient été
députés pour demander la paix, avec mission d’annoncer que si on ne vient pas à
son aide, il ne pourra tenir plus longtemps.
7. En pleine nuit, César utilisant comme guides
ceux mêmes qui avaient porté le message d’Iccios, envoie au secours des
assiégés des Numides, des archers crétois et des frondeurs baléares ;
l’arrivée de ces troupes rendant l’espoir aux Rèmes, leur communique une
nouvelle ardeur défensive, cependant qu’elle ôtait aux ennemis l’espoir de
prendre la place. Aussi, après un court arrêt devant la ville, ayant ravagé les
terres des Rèmes et brûlé tous les villages et tous les édifices qu’ils purent
atteindre, ils se dirigèrent avec toutes leurs forces vers le camp de César, et
s’établirent à moins de deux mille pas ; leurs campements, à en juger par
la fumée et les feux, s’étendaient sur plus de huit milles.
8 César, tenant compte du nombre de ses
ennemis et de leur très grande réputation de bravoure, décida, pour commencer,
de surseoir à la bataille ; Il n’en livrait pas moins chaque jour des
combats de cavalerie, pour éprouver la valeur de l’ennemi et l’audace des
nôtres. Il vit bientôt que nos troupes n’étaient pas inférieures à celles de
l’adversaire. L’espace qui s’étendait devant le camp était naturellement propre
au déploiement d’une ligne de bataille, parce que la colline où était placée le
camp, dominant de peu la plaine, avait face à l’ennemi, juste autant de largeur
qu’en occupaient nos troupes une fois mises en ligne, et se terminait, à chaque
extrémité par des pentes abruptes, tandis qu’en avant elle formait une crête
peu accentuée pour s’abaisser ensuite insensiblement vers la plaine. César fit
creuser à chaque bout un fossé d’environ quatre cents pas de long
perpendiculairement** à la ligne de bataille ; aux extrémités de ces
fossés il établit des redoutes et disposa des machines, pour éviter que les
ennemis, une fois nos troupes déployées, ne pussent, étant si nombreux, nous
prendre de flanc tandis que nous serions occupés à combattre. Ces dispositions
prises, il laissa dans le camp les deux légions de formation récente, pour
qu’elles pussent, au besoin, être amenées en renfort, et il rangea les six
autres en avant de son camp. L’ennemi, de même avait sorti et déployé ses
troupes.
9
Il y avait entre les deux armées un marais de
peu d’étendue. L’ennemi attendait, espérant que les nôtres entreprendraient de
le franchir ; de leur côté les nôtres se tenaient prêts à profiter des
embarras de l’ennemi, s’il tentait le premier le passage, pour fondre sur lui.
Pendant ce temps, un combat de cavalerie se livrait entre les deux lignes.
Aucun des adversaires ne se hasardant le premier à travers le marais, César,
après que l’engagement de cavalerie se fut terminé en notre faveur, ramena ses
troupes dans le camp. Les ennemis, aussitôt, se portèrent sans désemparer vers
l’Aisne, qui, on l’a dit, coulait derrière notre camp. Là, ayant trouvé des gués, ils essayèrent de
faire passer la rivière à une partie de leurs forces, dans
le dessein d’enlever, s’ils le pouvaient, le poste commandé par le légat
Quintus Titurius, et de couper le pont ; s’ils ne réussissaient pas, ils
dévasteraient le territoire des Rèmes, d’où nous tirions de grandes ressources
pour cette campagne, et nous empêcheraient de nous ravitailler.
10 César, informé par Titurius, fait franchir le
pont à sa cavalerie, à l’infanterie légère des Numides, aux frondeurs et aux
archers, et marche contre les ennemis. Il y eut un violent combat. On les
attaqua dans l’eau, qui gênait leurs mouvements, et l’on en tua un grand
nombre ; les autres, pleins d’audace, essayaient de passer par-dessus les
cadavres : une grêle de traits les repoussa ; ceux qui avaient déjà
passé, la cavalerie les enveloppa et ils furent massacrés. Quand les Belges
comprirent qu’ils devaient renoncer et à prendre Bibrax et à franchir la
rivière, quand ils virent que nous nous refusions à avancer, pour livrer
bataille, sur un terrain défavorable, comme enfin ils commençaient, eux aussi,
à manquer de vivres, ils tinrent conseil et décidèrent que le mieux était de
retourner chacun chez soi, sauf à se rassembler de toutes parts pour défendre
ceux dont le territoire aurait été d’abord envahi par l’armée romaine : de
la sorte ils auraient l’avantage de combattre chez eux et non chez autrui, et
ils pourraient user des ressources de ravitaillement que leur pays leur
offrait. Ce qui les détermina, ce fut, outre les autres motifs, la raison
suivante : ils avaient appris que Diviciacos et les Héduens approchaient
du pays des Bellovaques, et on ne pouvait convaincre ces derniers de tarder
plus longtemps à secourir les leurs.
11. La chose résolue, ils sortirent du camp
pendant la deuxième veille en grand désordre et tumulte, sans méthode ni
discipline, chacun voulant être la premier sur le chemin du retour, et ayant hâte d’arriver chez lui ; si bien
que leur départ avait tout l’air d’une fuite. César aussitôt informé par ses
observateurs de ce qui se passait, craignit un piège parce qu’il ne savait pas
encore la raison de leur retraite, et il retint au camp ses troupes y compris
la cavalerie. Au petit jour, apprenant par ses éclaireurs qu’il s’agissait bien
d’une retraite, il envoya en avant toute sa cavalerie pour retarder
l’arrière-garde ; Il leur donna
pour chefs les légats Quintus Pédius et Lucius Aurunculéius Cotta ; Le
légat Titus Labiénus reçut l’ordre de suivre avec trois légions. Ces troupes
attaquèrent les derniers corps et les poursuivirent sur plusieurs milles,
tuèrent un grand nombre de fuyards ; l’arrière garde qu’on atteignit
d’abord, fit face et soutint vaillamment le choc de nos soldats ; mais
ceux qui étaient en avant pensaient être hors de danger, et n’étaient retenus
ni par la nécessité ni par l’autorité des chefs : quand ils entendirent
les clameurs de la bataille, le désordre se mit dans leurs rangs et tous ne
pensèrent plus à d’autres moyens de salut que la fuite. C’est ainsi que, sans courir de danger, nos
soldats en massacrèrent autant que la durée du jour le leur permit ; au
coucher du soleil, ils abandonnèrent la poursuite et revinrent au camp comme
ils en avaient reçu l’ordre.
12.
Le lendemain, César sans laisser à l’ennemi
le temps de se ressaisir après cette panique, conduisit son armée dans le pays
des Suessions, qui étaient voisins des Rèmes et à marche forcée parvint à
Noviodunum [leur capitale***].Il voulut enlever la place d’emblée, parce qu’on
lui disait qu’elle était sans défenseurs ; mais bien que ceux-ci fussent
effectivement peu nombreux, la largeur du fossé et la hauteur des murs firent
échouer son assaut. Ayant
établi un camp fortifié, il fit avancer des mantelets et commença les
préparatifs ordinaires d’un siège. Cependant toute la multitude des Suessions
en déroute se jeta la nuit suivante dans la place. On avait vivement poussé les
mantelets, élevé le terrassement, construit les tours ; frappés par la
grandeur de ces ouvrages, chose qu’ils n’avaient jamais vue, dont ils n’avaient
même jamais ouï parler, et par la rapidité de l’exécution, les Gaulois envoient
à César des députés pour se rendre ; à la prière des Rèmes, il leur fait
grâce.
* Constans traduit Villes ** César a écrit transversam: en
travers, en biais, en oblique … *** Mot rajouté par Constans.
Dion Cassius (XXXIX, 1 & 2)<;
(...)« Les Belges qui habitaient près du Rhin, en nombreuses tribus mélangées (?) et s'étendaient jusqu'à l'océan en face de la Bretagne, bien qu'ils eussent été jusque-là en paix avec les Romains, ou du moins n'aient rien tenté contre eux, considérant désormais les succès de César et craignant aussi qu'il ne marchât contre eux, se réunirent, et, à l'unanimité, à l'exception des Rèmes, établirent des plans contre les Romains et constituèrent une coalition à la tête de laquelle ils mirent Galba.
César en fut informé par les Rèmes et il installa des postes pour les surveiller, et ensuite il mit son camp au bord de la rivière de l'Aisne où il concentra ses troupes et les maintint. Pourtant il ne se risqua pas à se rapprocher des ennemis jusqu'à ce que, par mépris pour lui et le croyant effrayé, ils entreprirent d'occuper le pont et de mettre fin à l'acheminement de céréales que ses alliés lui faisaient parvenir. Il fut informé à l'avance par des déserteurs de ce qui se préparait : pendant la nuit il envoya contre les ennemis les troupes légères et la cavalerie et celles-ci tombèrent par surprise sur les barbares et en massacrèrent beaucoup, si bien que la nuit suivante ils se replièrent tous chez eux d'autant plus qu'ils avaient appris que les Héduens les avaient envahis.
César comprit ce qui se passait, mais dans son ignorance du terrain, il ne prit pas le risque de les poursuivre tout de suite. À l'aube, cependant, prenant la cavalerie et donnant l'ordre à l'infanterie de le suivre, il les rejoignit, et comme ils lui offraient la bataille - le croyant accompagné de la seule cavalerie - il gagna du temps jusqu'à l'arrivée de l'infanterie. Ainsi, avec son armée tout entière, il les enveloppa, en massacra le plus grand nombre et reçut la soumission des autres. Puis il s'empara de nombre de leurs villes, les unes sans combat, les autres de vive force...»
Dion Cassius (XXXIX, 1&2)
III / INDICATIONS DU TEXTE SUSCEPTIBLES DE LOCALISER LA BATAILLE.
1. Le camp - César a installé sur une colline bordant la rive nord de l'Aisne, huit légions (40.000 hommes) plus les auxiliaires, les trains et l'artillerie [25.000 hommes d'après Ch. Peyre (Le champ de Bataille de l’Aisne. Christian Peyre: Revue des Etudes Latines. 1978- Tome 56. pp 175/215).
Un camp pour deux légions couvre normalement 40 à 45 hectares (800 m x 500 à 550 m).
- Un camp pour huit légions (ou des camps) devrait couvrir environ 160 hectares (environ 2000 m x 800 m) mais comme il s’agit d’un camp provisoire, il peut être moins étendu;
Il ne peut cependant guère être inférieur à 100 hectares.
2. La colline - Elle présente entre les deux versants latéraux abrupts un espace permettant de déployer six légions : 3000 à 4000 mètres suivant l'ordre de bataille adopté en fonction du terrain et du dispositif ennemi. En général sur trois lignes (triplex acies)
3. Le pont. Il devrait, selon nous, être placé à proximité immédiate de la colline :
- Soit en face d'un des thalwegs qui la bordent, afin de permettre à la route de monter progressivement sur la hauteur.
- Soit au droit de la colline : c'est plus rare car, en général, on construit un pont pour faire passer une route utilisable, et non pour escalader un talus. A moins qu'un emplacement particulièrement favorable à la traversée ne se trouve derrière la colline et que la pente soit suffisamment douce pour permettre la montée d'une route, en oblique au besoin, ou que celle-ci ne se dirige parallèlement à la rivière, entre la berge et la colline, jusqu'à l'un des thalwegs qui longent le coteau d'un côté ou de l'autre.
L'existence d'un pont implique la possession des deux rives par la même cité.
- S'il y a un pont, alors que nous ne sommes pas à proximité immédiate d'une ville (César l'aurait mentionnée) c'est que passe là une voie importante au moins pour les Rèmes, possesseurs du terrain.
- Le pont n'est sans doute pas construit à un emplacement où des marécages étendus bordent l'Axona, parce que les Anciens préféraient placer les ponts à des endroits qui ne leur imposaient pas, pour arriver à l’ouvrage, d’édifier de longues chaussées.
4.Bibrax Cette ville fortifiée citée au chapitre 6 du B.G. et non localisée de nos jours, était située à 8 mille du Camp de César au nord de l'Aisne, dans le quartier ouest/nord-est par rapport au camp puisque les Belges l'assiègent en se dirigeant vers Reims.
Mais Bibrax est déjà chez les Rèmes puisque commandé par Iccios, notable rémois. Le camp romain, sur la rive droite de l'Aisne, n'est donc pas sur la frontière rème, mais en arrière de celle-ci, à plusieurs kilomètres.
5. Noviodunum - oppidum suession, et pas forcément capitale malgré Constans, est situé à 40 Km du camp ou plus. En effet, César fait une marche forcée le premier jour mais arrive peut-être les jours suivants, à marche normale : il est en pays ennemi, zone où les marches forcées sont risquées car elles étirent les colonnes et négligent la sûreté. (Cette observation a été mentionnée par M. Bécu – Bulletin de la Société Historique et Archéologique de Soissons. N° 20.1889.1890., et par M. Boulongne –Comptes-rendus et Mémoires du Comité Archéologique de Noyon. 1898).
6. Le détachement de Quintus Titurius Sabinus
Le détachement de six cohortes (3000 hommes, plus sans doute de la cavalerie, des auxiliaires et des machines) donné à Sabinus et laissé sur la rive gauche, est-il le praesidium qui garde le pont, ou en est-il distinct ?
César semble les différencier et parait même indiquer que le praesidium s'installe sur la rive droite.
- Dans le premier cas, T. Sabinus se place tout près du pont sur la rive sud et détache un poste à l'entrée nord de l'ouvrage.
- Dans le second cas, sa mission principale est de contrôler la route passant par le pont et menant à Reims, et plus loin vers la Province, afin de protéger l'arrivée des convois de ravitaillement en interceptant les unités belges qui pourraient tenter de brigander sur cet itinéraire. Il est donc obligé de s'installer à proximité de ce chemin.
Son camp est à vue du camp principal ou à une distance assez courte, puisque c'est peut-être lui qui préviendra César du franchissement aux gués, et qu'en tout état de cause, il peut recevoir directement les ordres du proconsul.
Il a besoin d'une surface de 10 à 15 hectares (= 300 m x 400m) minimum, ou d’une vingtaine d’hectares, si ce praesidium abrite la VIe légion.
- Nota : En effet, le décompte des légions de César pendant la Guerre des Gaules, amène à penser que le proconsul avait emmené la VI° légion. Celle-ci sera détruite à Atuatuca et remplacée par une Sixième bis, qui fera ses premières armes à partir de 53, et se couvrira de gloire pendant la Guerre civile.
- 7 . concentration belge.
D'où viennent les Belges par rapport à Reims ?
- 130 000 viennent de l'ouest (60 000 Bellovaques, 50 000 Suessions, 20 000 Calètes et Veliocasses)
- 60 000 du nord-ouest (15 000 Atrébates, 10 000 Ambiens, 25 000 Morins, 10 000 Viromandues)
- et 117 000 du nord (50 000 Nerviens, 7000 Ménapes, 19 000 Atuatuques et 40 000 Eburons, Condruses, Pemanes, etc...)
Le centre de gravité des détachements annoncés, pourrait définir une zone de concentration, à l'abri derrière L'Oise, (César aurait peut-être tenté de disloquer la coalition en détail, avant la fin du rassemblement, si celui-ci n’avait pas été couvert par un obstacle) entre Compiègne et Guise, et plus probablement entre Noyon et La Fère.
8 . Le déplacement des Belges.
L'armée gauloise qui se déplace avec vivres et chariots peut utiliser, pour faciliter l'écoulement de la foule, plusieurs itinéraires. Elle a besoin de chemins pour ses charrois, même si la troupe peut progresser de part et d'autre.
Cependant les itinéraires seront proches l'un de l'autre. Par exemple, une manoeuvre en tenaille Compiègne-Soissons-Reims, et Guise-Laon-Reims, est peu probable : c'est de la tactique divisionnaire, pas une combinaison entrant dans les capacités d'une coalition gauloise.
9 Les escarmouches de cavalerie
Elles ont lieu sur un terrain situé entre les deux armées, du moins pour certaines d'entre elles.
Or César nous dit qu'entre les armées existe un marais de peu d'étendue.
Les troupes ennemies sont donc séparées par un espace qui comporte à la fois, un marécage et une place où déployer des escadrons.
10 Les fossés de 600 m de long
Ces fossés, que César mentionne au chapitre 6 du B.G. sont terminés par une redoute armée de balistes, et partent de la colline :
- Soit obliquement (vers l'avant ou vers l'arrière) en débutant à l'extrémité du front de déploiement des légions, soit le long du plateau, aux crêtes militaires latérales, pour protéger l'espace derrière l'armée déployée.
- Soit sur la portion arrière, en oblique vers l'Aisne (C’est la version que propose G.Stegen: Les Etudes Classiques. Namur. (N° 19 et 26), pour prolonger les défenses latérales que constituent les abrupts, à hauteur de la pente arrière de la colline qui, elle, est peut-être en déclivité plus douce ; dans ce cas, les redoutes se trouveraient au bord de l’Aisne.
Cependant, cette dernière implantation ne cadre pas avec le texte du Livre II, car César précise que ces fossés étaient destinés à protéger l’acies, et non le camp( B.G. II, 8).
IV/ REFLEXIONS SUR LE DEROULEMENT DES OPERATIONS
Ces réflexions reposent uniquement sur la lecture des textes de César et de Dion Cassius, sans relation avec un site prédéterminé.
L'emplacement choisi par César oblige les Belges à interrompre leur progression.
César ne sort pas de sa colline ; il fait seulement battre l'estrade par ses cavaliers.
Les Belges hésitent à donner l'assaut à cette position.
Pour obliger les Romains à livrer bataille sur un terrain moins favorable, et/ou pour les fractionner en plusieurs éléments, ils décident de les affamer en les coupant du ravitaillement de leurs alliés ; eux-mêmes commencent à manquer de vivres.
Ils vont donc tenter de traverser l'Aisne à gué, pour couper le pont, neutraliser le détachement de T. Sabinus, et intercepter le ravitaillement des Romains.
Nota : L’incendie des fermes et hameaux de cette région dans laquelle ils vont être immobilisés de nombreux jours, est peut-être une des causes de la pénurie de vivres dont ils seront menacés plus tard, et qui les poussera à tenter la traversée de l’Aisne par les gués.
Pourquoi ne pas avoir attaqué le pont par le nord. ?
- Parce que celui-ci est protégé par les fossés de 400 pas et les redoutes installées à leur extrémité ?
- Parce que l'accès nord du pont, derrière le camp, est inaccessible ?
- Ou parce que le terrain est tel qu'il expose les assaillants à des attaques à revers par les troupes du camp principal?
En cas d'échec contre le pont et T. Sabinus, les Gaulois envisagent de ravager le pays rémois et de stopper les ravitaillements romains ; ils seront simplement obligés d'opérer assez loin des forces romaines.
D'après Dion Cassius la traversée a lieu de nuit. C'est plausible, à la fois :
- pour se ménager la surprise vis-à-vis du Praesidium et de Titurius Sabinus.
- pour ne pas alerter le gros des forces sur la colline,
- et parce que les Gaulois utilisaient assez volontiers la nuit pour se déplacer et combattre.
Remarque : Les distorsions entre la bataille générale racontée par Dion Cassius et le récit de César ne sont qu'apparentes : César était présent et c'est lui qu'il faut croire. Dion Cassius regardant, depuis Rome et au troisième siècle, les effets d’une manoeuvre qui aboutit à disloquer la coalition, ne peut concevoir un tel bilan que comme conséquence d'une grande bataille engageant toutes les légions, et non comme résultat d’une escarmouche nocturne suivie d’une poursuite de cavalerie.
( Nota : A cette escarmouche, il faut ajouter la diversion de l'héduen Diviciaccos sur le pays bellovaque, ce que ne mentionne pas Dion Cassius).
En conclusion, il faut donc trouver sur la rive droite de l’Aisne, à plusieurs kilomètres de la frontière suessionne de l’époque :
- Une colline adossée à la rivière avec, sur les flancs, des pentes abruptes.
- présentant une surface susceptible de recevoir à la fois, un camp pour huit légions, et devant celui-ci, un espace suffisant pour en déployer six. Entre les deux, une crête légère.
- Cet emplacement doit permettre le déploiement des camps belges sur un arc de cercle de douze Km. entourant partiellement la colline romaine, à trois kilomètres environ de distance (si les Belges s’installent sur une ligne droite, les camps extrêmes seront plus éloignés).
- Entre la colline et le déploiement de l’armée belge, un marais et un espace pour y livrer des escarmouches de cavalerie.
- Sur les flancs de la colline, un ou des endroits nécessitant l’installation de deux fossés de 600 mètres en oblique, pour protéger le déploiement de l’armée.
- Des gués à proximité (mais il y en a partout).
- La colline, par sa situation, devra couvrir le pont qui permet les liaisons avec l’arrière.
V/ LA THESE OFFICIELLE,
LES CONTRAINTES QUI L’ONT IMPOSEE, ET LES PROBLEMES QU’ELLE POSE.
La certitude que les circonscriptions religieuses se sont superposées exactement aux entités administratives gallo-romaines - lesquelles étaient censées avoir simplement reproduit l’emprise des Cités de la Gaule indépendante – a limité la recherche du camp de César à la portion de territoire rème située, sur la rive droite de l’Aisne, entre Rethel et Pont d’Arcy, point où la limite entre les diocèses de Reims et de Soissons traverse aujourd’hui l’Aisne.
La découverte d’un camp romain à Mauchamp, et la proximité du passage de Berry-au-Bac ont incité les «Antiquaires» de l’époque, à fixer leur choix sur ce lieu, qui parait couvrir la ville de Reims, d’autant que la présence miraculeuse à douze kilomètres de l’ancien oppidum du Vieux Laon, rebaptisé Bibrax à cette occasion, a semblé authentifier ce choix.
On a donc interprété ainsi le passage concerné du Livre II:
César franchit l'Aisne à Berry-au-Bac et s'installe à Mauchamp.
Il place un Praesidium à l'extrémité nord du pont de Berry-au-Bac, et Titurius Sabinus, avec six cohortes, au sud de la rivière, à Gernicourt (Un camp romain y a été découvert par l'Abbé Pocquet en 1862 - un autre camp existerait d'ailleurs à Condé-sur-Suippe).
Il déploie son armée sur la rive sud de la Miette entre le camp de Mauchamp et Berry-au-Bac.
Bibrax se trouve sur la colline du Vieux Laon, à St Thomas (5 Km NNW de Corbeny), Noviodunum est Soissons (situé à une marche forcée = 40 KM), et le passage de l'Aisne par les Belges s'est effectué au gué de Pontavert.
Par la suite, les objections multiples présentées contre cette localisation n’ont pu décider l’Université à changer d’opinion, d’autant que les emplacements proposés (Chaudardes, Bourg-et-Commins, Beaurieux ou Pontavert) péchaient tous par quelque côté (Voir plus loin Annexe 3 : Les autres sites).
Mais César était trop bon tacticien pour penser qu’en s’établissant au milieu d’une plaine mollement vallonnée, sans obstacle de barrage, à côté d’un camp de 40 hectares incapable d’abriter ses 40.000 hommes, il pourrait arrêter une armée de trois cents mille barbares, dont le but avoué était d’aller piller la région située derrière lui!
L’Axona et la ville de Durocortorum étant fixées sans erreur, et aucun site satisfaisant ne pouvant être retenu au nord de l’Aisne dans les limites admises jusqu’ici, c’est sans doute que la démarcation de l’époque entre les Rèmes et les Suessions, a été mal définie.
C’est donc en cherchant s’il n’y a pas eu, à un moment de l’histoire de cette région, une modification des frontières religieuses, que l’on pourrait retrouver la frontière primitive entre les deux cités, et, agrandissant ainsi la zone de recherche, découvrir un site qui réponde aux divers impératifs du texte de César.
En effet, tout donne à penser qu’il y a eu très tôt dans le Moyen Age, rupture dans cette zone, entre les pouvoirs civil et religieux, et séparation des deux limites
Les annexes 1 et 2 exposent quelques-uns des reproches adressés au site de Mauchamp.
L'annexe 3 exclue les autres sites.
L’annexe 4 donne des repères sur les variations de la limite religieuse entre les évêchés de Reims et de Soissons.
Une possible raison de ce déplacement, est proposée en annexe 5.
VI / L’HYPOTHESE PROPOSEE: CESAR SUR LA COLLINE DE CONDE
La colline en question, selon César se localise vers la limite Ouest du territoire des Rèmes
Il faut reprendre l'étude de cette bataille, en élargissant la zone de recherche, en sortant des plaines pour inclure les zones de collines
À l’est de Rethel, c’est inutile, car on sortirait du pays rème.
Vers l'ouest, par contre il faut regarder jusqu’à l’oppidum de Villeneuve-Saint-Germain (exclus).
La rive nord de l'Aisne en aval de Pont-Arcy présente cinq collines :
- Le plateau de la Cour Soupir au nord-ouest de Soupir. (1).
- Le plateau de Rouge-Maison au-dessus de Vailly. (2).
- La ferme de Colombe au nord-ouest de Vailly. (3).
- La colline qui porte le fort de Condé (4).
- Le plateau du Pont-Rouge au nord de Bucy-le-Long. (5).
Aucune des trois premières ne présente un marais devant le camp et leur orientation ne permet pas de déployer l'armée du côté opposé à la rivière. De plus, la troisième est trop exiguë (3000 m x 800 m)
La cinquième n'a pas de marais du côté opposé à l'Aisne ; en outre, cette rivière, à sa hauteur, est marécageuse sur une grande largeur.
Le plateau de Condé, par contre, peut correspondre au texte de César.
A/ LA GEOLOGIE.
La colline du fort de Condé (A) se situe sur un plateau calcaire de l’éocène nummulitique, entaillé par des cours d’eau, et surcreusé à la dernière glaciation de Würm (cf. carte géologique).
Dans ces vals encaissés, les rus méandrent mollement dans les marnes et les sables de Brachieux, et forment des marécages dans des alluvions anciennes, ou reprises dans des terrains récents. Ces marécages s’amenuisent au fil des ans, mais ceux de l'Auxona étaient plus conséquents que ceux de l'Aisne d'Aujourd'hui.
Le plateau est composé par des calcaires massifs de l’Eocène reposant sur la craie champenoise imperméable; sa base, taillée dans le calcaire à nummulites du Lutétien moyen inférieur, présente des pentes raides de 30 mètres environ de dénivelée, coiffées très souvent par 20 mètres de calcaire grumeleux fossilifère du Lutétien supérieur. Ce dernier donne des abrupts, parfois façonnés par un réseau de diaclases sans rejet, ouvertes jusqu’à 50 centimètres, comblées de sables plus ou moins calcaires, et orientées 80° Est.
Les calcaires sont percés de carrières et de champignonnières, qui contribuent à activer les méfaits de l’érosion.
Le sommet des plateaux est recouvert par des limons loessiques du Würmien, qui présentent quelques mètres d’épaisseur en moyenne.
Dans la vallée de l’Aisne; la butte des Longues Raies (B), formée d’un résidu glaciaire qui bouche, en aval du confluent de la Vesle, la trouée Missy-Sermoise, a créé, en amont, une grande zone marécageuse, recreusée à l’époque moderne par des sablières et des canaux de drainage.
B/ LA GEOGRAPHIE.
Les ruisseaux affluents des deux rivières parallèles l’Aisne et l’Ailette, entament par endroits le plateau, jusqu’à former des étranglements comme ceux de Neuville-Laffaux (C), ou de la Malmaison.
Ceux-ci définissent des passages obligés pour les chemins qui désirent éviter les marécages des fonds de vallée, ou la traversée des rivières, avec les obligatoires montées et descentes qui y mènent.
Ainsi le «Cadastre Napoléon», daté dans cette région des environs de 1820, nomme «Grand chemin de Noyon à Reims» (parfois «de Noyon à Craonne», suivant les feuilles) celui qui passe par Blérancourt, Laffaux, la Malmaison, et le Chemin des Dames.
De la même façon, certaines portions du plateau sont rattachées à cette arête sommitale par des rétrécissements – créés par des ruisseaux affluents d’une même rivière - qui forment aussi des passages privilégiés «à pied sec».
C’est le cas de la bande de terrain qui relie les deux fermes de Chimy et de Mennejean.
C/ LA TOPOGRAPHIE
- Le plateau de Condé borde l'Aisne et mesure environ 430 hectares.
- La partie sud s'étend sur 2 kilomètres 500 pour une largeur moyenne de 750 mètres (180 ha).
- La zone nord est un plateau bombé de 2 kilomètres 500 de large à la crête.
- Ses flancs sont abrupts, surtout le flanc est, et la colline domine de 80 m les ruisseaux qui la bordent.
- Un marais, la "Grande Rosière", clot, de nos jours encore, le côté nord-ouest.
- Cette région est maillée d'un réseau dense de routes et de chemins dont le « cadastre Napoléon », garde encore le souvenir : Chemin de Noyon à Reims, Chemin de Chivres à Laon écharpant le plateau de Condé entre l’église de Chivres et la Ferme Mennejean, etc.
Que donnerait le déroulement de la bataille si César avait choisi la colline de Condé pour installer son camp ?
D/ LE POINT DE VUE MILITAIRE
a) En arrivant, César s'installe en position centrale par rapport aux trois directions dangereuses - sans doute à l'ouest de Reims, vers Jonchery par exemple - et place des légions sur chacun des axes d'arrivée possibles des Belges :
- Laon et le camp de Sissonne par Beaurieux :
- Noyon par Braine et Laffaux
- La rive gauche de l'Aisne en direction de Compiègne et Villers-Cotterêts.
b) Les Gaulois, apparemment, n'ont pas voulu utiliser des axes séparés par une rivière, et ont choisi les itinéraires du plateau nord de l'Aisne qui, par l'étranglement de Laffaux,se regroupent au Chemin des Dames et pénètrent en pays rémois: Cet itinéraire qui ouvre, à proximité de Laffaux, une bretelle qui dessert, au sud de l’Aisne, Braine et le Tardenois, croise, plus à l'est, la route Laon–Beaurieux, et débouche, après Craonne, sur la plaine de Reims.
c) César cherche à connaître de façon précise, par ses espions et par les grands-gardes de ses légions, la ou les routes d'arrivée des Belges.
Lorsqu'il est sûr qu'il s'agit de l'axe venant de Noyon par le plateau de Blérancourt, il rameute ses forces, et part sur Braine pour s’établir au Fort de Condé.
d) Il a attendu d’être certain que les Belges étaient bien engagés sur le plateau avant de passer l’Aisne. C’est cette installation tardive, qui l’obligera à des travaux en présence de l’ennemi.
La géographie de la Bataille
1 – l’étranglement de Laffaux 16- le vallon des Portelles
2 – le fort de la Malmaison 17- le fort de Condé
3- la route Noyon-Reims 18- Celles-sur-Aisne
4- Laffaux 19-Condé
5- la ferme Mennejean 20-ferme de la Montagne
6- la ferme Colombe 21- Bucy le long
7- Nanteuil la Fosse 22- Sainte Marguerite
8- Margival 23- Chivres
9- Aizy-Joiy 24- Missy-sur-Aisne
10- la grande rosière 25- Les longues Raies
11- la ferme Chimy 26- le pont de la Bisa
12- Vaucelles 27- Chassemy
13- Vailly 28-Sermoise
14- Vregny 29- l’Aisne
15- le thalweg de Verdonne 30- la Vesle
e) Il aurait pu barrer le passage de Laffaux, mais, devant les gros effectifs de l'armée belge, il y renonce, à cause du risque de se faire déborder au nord et au sud, et d'être obligé de partager ses forces pour mener un combat sur plusieurs fronts.
Une installation au sud de l'Aisne, vers Sermoise-Chassemy, aurait dégagé l’itinéraire Chemin des Dames-Craonne-Pontavert, tandis qu’une position à Pontavert, outre qu’elle eût laissé ravager toute la partie occidentale du pays rème, aurait ouvert aux Gaulois, l'arrivée sur Reims par Braine et la vallée de la Vesle .
(Pire, une installation à Mauchamp ouvre l’accès de Reims et du pays rème, par Braine et la vallée de la Vesle, par Pont-Arcy, par Beaurieux, et même par Pontavert).
f) Il préfère s'installer à Condé : tout en assurant ses liaisons arrières, il barre la bretelle Laffaux - Braine qui passe l'Aisne sur le pont dont parlent les Commentaires, en même temps qu'il interdit le chemin des Dames par la menace qu'il fait peser sur son flanc sud.
Pour être renseigné sur les mouvements ou les tentatives de débordement au sud de l'Aisne, et assurer la protection des convois de ravitaillement venant de Reims, il laisse Titurius Sabinus sur la rive gauche.
g) Oû est le camp de ce légat?
- La zone du confluent de la Vesle n’est qu’un vaste marécage s’étendant sur huit kilomètres carrés de Condé à Vailly.
- La butte de Chassemy est trop excentrée, et isolée par des marais, pour avoir constitué la base d’opérations d’une troupe appelée à intervenir aussi bien à l’ouest, que sur la route de Reims.
- Les pentes de Sermoise souffrent du même éloignement, quoiqu’à un degré moindre.
Par contre, la butte des Longues Raies, défendue à l’ouest, au nord, et à l’est par une zone marécageuse, offre une position centrale qui protège les accès sud du plateau, et interdit, à la sortie de la trouée Missy-Sermoise, le débouché d’incursions venant de l’ouest.
Ses dimensions (50 à 60 hectares au sommet) permettent d’y installer plusieurs légions.
h) Qu’en est-il alors, sur la colline de Condé, du grand retranchement dont parle César?
Le proconsul nous dit (B.G II, 5) avoir ordonné de fortifier (ou de protéger) le camp, par un rempart de douze pieds de haut (3,55 m), et un fossé de dix-huit pieds (5,30 m). Il ne précise pas si cette dernière mesure concerne la largeur ou la profondeur, mais la tournure de la phrase fait penser à dix-huit pieds de fond.
C’est énorme! Cela donnerait 8,85m de commandement du sommet du vallum sur le fond du fossé (à la limite, 3,55 plus 3,80m = 7,35m, si on considère que 18 pieds est la largeur; La profondeur du fossé, pour un profil identique, serait approximativement dans ce cas, de 13 pieds: les trois quarts de 18).
Pourquoi lancer ses troupes dans un terrassement aussi gigantesque? L’année précédente, contre Arioviste, avec un effectif moindre, il ne s’est pas cru obligé d’entreprendre de tels travaux!
Sa position sur cette colline paraissant défensivement intéressante, on comprend mal qu’il ait outrepassé, dans de telles proportions, les dimensions réglementaires des travaux de camp qui donnaient déjà treize pieds de commandement (3,90 m) au vallum sur le fond du fossé, sans la palissade: et César nous parle de 8,85m, cinq mètres de plus!
Entourer, ou même protéger son camp du coté le plus vulnérable (César utilise le verbe munire), avec un retranchement aussi grandiose eut exigé, du proconsul une organisation particulière du travail et des délais importants. Or il n’a pas disposé de beaucoup de temps, entre son arrivée à Condé, et l’apparition des Belges (bien que la durée d’écoulement de leurs colonnes ait dû être assez longue, et qu’ils n’aient sans doute pas immédiatement pris la décision d’arrêter leur progression, et de s’installer sur les crêtes entourant la colline de Condé).
Dans cinq ans, à Alésia, César multipliera les défenses, mais n’augmentera pas la dimension de ses ouvrages.
Il doit y avoir une autre justification au gigantisme de cette construction. Les bâtisseurs du fort de Condé, dès septembre 1877, nous la révèlent peut-être: ils font état d’un talus et d’un fossé barrant la colline.*
…« L’abbé Pécheur attire l’attention de la compagnie sur les découvertes auxquelles ont donné lieu les travaux du Fort de Condé-sur-Aisne. …. des restes de foyers en plusieurs endroits, et surtout le talus d’un fossé qui a dû couper ce promontoire, comme ceux de Pommiers, d’Epagny (oppidums du département de l’Aisne), etc...». …Nul doute qu’«il y ait eu là, une ancienne station militaire». (Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Soissons, Séance du 5 Xbre 1878; 2° série; Tome IX; p.172)
- «Près du chemin de Chivres à Laon, en construisant le fort de Condé, on a trouvé des haches en silex, des tuiles, des médailles et monnaies romaines; ce qui fait supposer un camp réutilisé par les Romains». Société Historique et Archéologique de Soissons. Séance du 7 août 1890. Communication de O.Vauvillé. Bulletin, 2° série. T.XX. p. 184.( Fonds Bernard Ancien; Article Chivres)
….«..Ce point stratégique avait déjà retenu l’attention des populations celtiques: L’emplacement du fort était un oppide, une vaste langue de terrain qu’on avait coupé du plateau par un fossé et un rempart de terre." Conférence de M. Bernard Ancien –, prononcée lors d’une visite archéologique, le 9 avril 1972. (Fonds Bernard Ancien; Pièce 1990-50.).
César aurait donc trouvé sur place un retranchement celtique, ou préceltique, qu’il aurait utilisé. Ce n’était pas un ouvrage entourant le camp, c’était un barrage protégeant la langue sud du plateau, «le talus d’un fossé qui a du couper ce promontoire comme ceux de Pommiers ou d’Epagny», ainsi que le dit l’Abbé Pécheur. La partie sud du plateau formait alors un oppidum traditionnel, dit «en éperon barré».
Aujourd’hui, le terrain est plat comme la main: Les constructeurs du fort de Condé ont tout nivelé, pour dégager les vues et les champs de tir de la forteresse.
Certaines photos aériennes révèlent la trace de cet ouvrage. Cependant, celui-ci n’est pas là où on l’attendait! Au lieu de se situer à l’étranglement Ferme de Verdonne/ vallon des Portelles, il longe l’ancien chemin de Chivres à Laon, entre celui-ci et le fort de Condé, puis s’infléchit à l’Est
Ce n’est donc pas une construction de César; le proconsul aurait barré le plateau à hauteur de la cote 162: quatre cents mètres aujourd’hui, peut-être quatre cent cinquante à l’époque; Avec un travail minimum, il fermait une surface intéressante (environ 180 hectares) pour y loger ses camps.
Au lieu de cela, le rempart, tel qu’on le distingue sur la photo aérienne, mesure huit cents mètres, (trente ou quarante de plus il y a 2.000 ans), et il ne laisse, sur le sommet, qu’une centaine d’hectares pour y installer l’armée.
Cette fortification était sans doute en partie éboulée à l’arrivée du proconsul; il l’aurait alors remise en état, voire améliorée
Deux détails rattachent cette photographie aérienne et le texte de César, à la géologie du plateau:
1/ - L’orientation de ce retranchement est exactement celle des diaclases que l’on observe dans la couverture calcaire des plateaux du nord de l’Aisne: 80° N.E.
Peut-être une dépression en surface, a-t-elle orienté le travail des architectes celtes, ou préceltes?
2/ - Une coupe suivant un axe perpendiculaire à la trace photographique, donne une profondeur des loess würmiens, à cet endroit, de 5,30m: exactement les dix-huit pieds qu’annonce César! Les constructeurs de l’oppidum se sont sans doute arrêtés de creuser, quand ils ont atteint les calcaires grumeleux massifs du Lutétien supérieur, et les légionnaires de César les ont imités.
Les conséquences.
1) – L’existence de cette ancienne fortification a peut-être influencé le choix de César, lorsqu’il cherchait une position susceptible d’arrêter les Belges: aux facilités de liaison avec Reims grâce à l’existence du pont (sous réserve de surveiller la rive sud de l’Aisne et la Vesle), et de ravitaillement (eau, et fourrage au sud de la rivière), le plateau ajoutait la présence d’une zone sécurisée suffisamment étendue pour installer l’armée entre le talus et la rivière, moyennant la remise en ordre de défense de l’ouvrage antique.
2) – La route qui franchit l’Aisne sur le pont dont parle César.
Pourquoi les architectes de l’oppidum n’ont-ils pas construit cette fortification à l’étranglement du plateau? Ce n’est pas parce que la surface sécurisée eut été trop grande! Peu d’oppida sont intégralement bâtis, et beaucoup enclosent des champs et des pâturages.
C’est beaucoup plus probablement, parce qu’une route traversait cet étranglement, et que–pour des raisons cultuelles, politiques, ou matérielles à cause du fond marécageux des thalwegs est et ouest, ou pour d’autres causes encore - on a jugé impossible de la déplacer.
Cela lève l’indécision sur le tracé de cette route: ce n’était ni le chemin de Condé à Sassy par les Portelles, ni celui qui monte de Celles par les bordures est du plateau, puisqu’aucun des deux ne passe par l’étranglement. Ce ne pouvait être non plus un chemin nord/sud qui aurait traversé l’oppidum, et serait ressorti au milieu de la face sud du plateau, dans la portion dominant l’Aisne: aucune route ne perce une forteresse.
C’était le chemin de Chivres à Laon, qui longe l’oppidum sur son coté ouest, et que celui-ci contrôlait.*
* Un chemin pour piétons et animaux de bât, afin d’éviter le détour par Mennejean, quitte le chemin de Noyon à Reims au carrefour 158, peu après l’étranglement, passe à Laffaux, traverse la RN 2 au cimetière, descend en pente douce sur les ruines de Vouveny, tourne vers Nanteuil sur la D 536, et remonte sur la ferme de Chimy par le GR 12. Il a été pavé, durant la grande Guerre, sur la portion, à hauteur de la source, qui offre une pente plus raide (Voir ci-dessus la carte de la route directe Noyon-Reims avec la bretelle passant par Braine).
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i) Par leurs éclaireurs (et les populations) les Belges ont connu, avant de passer Laffaux l'arrivée de César à Condé.
Tandis que leurs avant-gardes reconnaissent l’installation de César et surveillent les Romains depuis les hauteurs voisines, une partie de leurs forces tente de s'emparer de Bibrax, premier oppidum rème sur leur chemin (Voir, en annexe 6, l'emplacement possible de ce bourg).
-Nota - Les oppidums ayant en partie été abandonnés dans la deuxième partie du premier siècle avant J.C., au bénéfice d’installations plus pratiques et d’accès plus facile, l’emplacement de Bibrax (dont la finalité était probablement plus militaire qu’économique ou politique), ne s’est pas obligatoirement perpétué dans un bourg existant encore (Cf. l’exemple de Gergovie): c’était sans doute, à l’époque, un oppidum de frontière, surveillant, pour les Rèmes, la route Noyon-Blérancourt-Laffaux-Chemin des Dames-Craonne-Reims.
j) Après l'échec du coup de main sur Bibrax, les Belges ravagent le pays avoisinant c'est-à-dire le plateau portant le début du chemin des Dames et la portion rème de l’Ailette (L’incendie des fermes et hameaux de cette région, dans laquelle ils vont être immobilisés de nombreux jours, sera peut-être une des causes de la pénurie de vivres dont ils seront menacés plus tard, et qui les poussera à tenter la traversée de l’Aisne par les gués) puis viennent s’installer à moins de 3 km de la colline tenue par César : leurs camps s'étendent depuis «la Montagne», au nord de Sainte-Marguerite, en passant par le plateau au dessus de Vregny, la R.N.2 à hauteur de Margival et Laffaux, la ferme Mennejean, et jusqu’à la croupe qui porte la ferme de Colombe, à l’ouest d’Aisy. Cela fait bien les huit milles dont parle César, à moins de 2.000 pas, en moyenne, de la colline de Condé.
k) Sur un tel emplacement, on découvre que les fossés de 600 m. deviennent une nécessité: Ils permettent de barrer les deux cheminements que constituent le talweg partant de la ferme Verdonne à l’ouest, et le vallon des Portelles qui entame le flanc Est entre Celles et Condé. Ces deux itinéraires d’infiltration portent des menaces arrière dangereuses pour une troupe engagée dans un combat sur la bordure nord du plateau.
D’après le texte, César semble n’avoir creusé ces protections, qu’après avoir vu les camps belges s’étendre jusqu’à «la Montagne» et aux «Hauts de Vaucelles».
l) Où se trouvait le pont?
- Pas à l’est du confluent de la Vesle, trop marécageux.
- Pas appuyé sur la butte des Longues Raies, au milieu de la face sud du plateau: Si le pont s’était trouvé là, César n’aurait pas eu besoin – grâce au détachement de Titurius Sabinus – d’y laisser un praesidium.
- Le pont était donc à Missy, probablement appuyé à la croupe de Sermoise, en aval du pont actuel, entre celui-ci et les Prés-de-la-Biza.
m) L’installation du proconsul fut sûrement plus complexe qu’il ne le laisse entendre:
- Sur le plateau, au sud du retranchement, on trouvait le camp des légions, peut-être seulement d’une partie de celles-ci.
- Sur la partie nord, une implantation permanente de surveillance, qui devait comprendre:
# Un castellum et des défenses vers le bois de Chimy, au débouché de la langue de terre venant de la ferme Mennejean.
# Un poste central de réserves au centre du plateau, vers les «Dix Pichets».
# De nuit, des postes de garde aux bordures est, nord et ouest, ainsi que des sonnettes en avant.
# De jour, à titre dissuasif, un déploiement de troupes sur les bordures du plateau.
- En arrière, sur la pente relativement douce qui conduit à l’Aisne, l'Auxona de César, la logistique et les campements des Auxiliaires et de la cavalerie (et peut-être d’une légion).
Chargées d’interdire la rive droite de l’Aisne entre Missy et Condé, ces troupes avaient sans doute aussi, parmi leurs missions secondaires, le secours au praesidium.
- Les fossés barrant les thalwegs de Verdonne et des Portelles, ont reçu des garnisons soit permanentes, soit relevées régulièrement.
n) Les Belges se rendent rapidement compte qu'un assaut est voué à l'échec : la "grande rosière" va casser le front d'attaque les rebords latéraux escarpés, renforcés des fossés de 400 pas, interdisent les manoeuvres de flanc.
Cette position les empêche de profiter de leur énorme supériorité numérique.
Malgré les provocations, César reste sur sa colline, laissant seulement sa cavalerie escadronner sur les replats de Nanteuil-la-Fosse ou sur la langue de colline qui conduit à la ferme Mennejean.
o) Le proconsul n’a pas l’intention de descendre livrer bataille à la coalition. Il tient à pallier le handicap du nombre par les qualités de sa position.
Il essaie de dissocier l’armée belge (Cf la mission confiée à l’héduen Diviciacos pour faire rentrer les Bellovaques), comme en 52, par son raid à travers les Cévennes, il fera éclater l’armée que Vercingétorix a rassemblée chez les Bituriges.
A Berry-au-Bac, il ne pourrait éviter l’engagement. A Condé, il est le maître d’en décider (ou alors les Belges sont obligés d’attaquer dans des conditions qui leur laissent peu de chances de succès).
p) Les Gaulois ne voient alors plus d'autre solution que de passer sur la rive gauche de l'Aisne pour couper les ravitaillements romains et obliger César à quitter sa forteresse, qui, en menaçant leur flanc sud, les empêche de continuer sur Craonne et Reims, tandis qu’elle leur barre la bretelle passant par Braine.
A l'ouest, par la croupe qui domine Bucy-le-Long, ils touchent à l'Aisne, et à l'est, par le thalweg qui descend d'Aizy-Jouy sur Vailly, ils peuvent également atteindre la rivière. Les deux passages ont pu être empruntés si des gués se trouvaient à proximité (il en existe encore à Vailly).
q) Mais le passage de l'Aisne est éventé soit par T. Sabinus (dixit César) soit par des transfuges (d’après Dion Cassius). Si l'expédition a eu lieu de nuit, les pertes furent probablement moins importantes que ne le raconte César.
r) Désespérant de prendre Bibrax, de faire sortir César de sa colline et de lui couper ses ravitaillements, menacés eux-mêmes par la famine si la campagne devait s’éterniser, et inquiets de la possible défection des Bellovaques, les Belges décident de rentrer chez eux.
La nuit suivant la tentative de franchissement, ils repassent le goulet de Laffaux.
Ensuite, chaque cité coupe sans doute au plus court : les Bellovaques, les Calètes, les Veliocasses et les Suessions méridionaux piquent vers Compiègne et Beauvais par le sud du plateau :
- Les Nerviens, les Eburons, les Ménapes filent vers le nord et Chauny.
- Les Ambiens, les Viromandues et les Suessions occidentaux prennent le chemin de Noyon.
Stephan Fichtl (Les Gaulois du nord de la Gaule - Errances - 1994) estime que seuls les Suessions, les Bellovaques et les Ambiens ont participé à cette bataille. Les autres, plus éloignés, n'ont pas eu le temps d'arriver sur l'Aisne, ou sont restés chez eux. C'est en effet une conclusion qui peut être tirée du texte de César, bien que celui-ci ne le dise pas explicitement.
s) Cette nuit-là, César ne bouge pas, par crainte d'un piège et par ignorance du terrain (passé Neuville-Laffaux, c'est le pays suession).
Le lendemain, il fait sabrer les traînards par sa cavalerie, soutenue par trois légions en mission de recueil, dans l’éventualité d’un guet-apens.
Puis il rameute tout son monde à Condé.
Ce n'est que le surlendemain qu'il lève le camp et exécute une poursuite en marche forcée qui l'amène dans la région de Nampcel - Cuts - Quiercy.
Peut-être le bourg de Noviodunum était-il à proximité de ces villages ?
Peut-être aussi n'était-ce pas le cas, et César, ce soir-là, s'aperçut-il que l'armée belge lui avait échappé et s'était dispersée ?
t) Il poursuit alors sa route plus calmement et parvient à Noviodunum, éventuellement après avoir franchi l'Oise à Sempigny.
Il y devance les Suessions en retraite : peut-être parce que beaucoup étaient restés groupés, et avaient tiré vers le sud du plateau pour passer l’Oise aux gués de Montmacq avec les Bellovaques, par crainte d’une poursuite romaine qui les aurait massacrés séparément?
- Nota : Noyon s’est appelé, à l’époque gallo-romaine, Noviomagus (cf. l’itinéraire d’Antonin), mais rien ne prouve que là était le Noviodunum des Suessions, au moment de la conquête
Certains pensent qu’il faut chercher cet oppidum sur la Montagne de Noyon, à l’ouest-sud ouest de la ville, mais le site n’a – parait-il - pas été sérieusement fouillé (J.B. Bourguignon d’Anville- 1697-1782. / Peigné-Delacourt. 1797-1881. / Desjardins: Géographie Historique et Administrative de la Gaule romaine).
Au reste qu’était Noviodunum?
- Un oppidum situé à environ 40 ou 50 kilomètres de la colline de Condé (ce qui peut donner les bords de l’Oise).
- Ce n’est pas obligatoirement la capitale: Certes, les Suessions ont demandé la paix après la chute de ce bourg, mais il faut considérer que leur pays subissait l’occupation d’au moins 50.000 soudards, à qui personne n’avait parlé des droits de l’homme. Leur proximité des Rèmes et du site de Condé, faisaient des Suessions, pour le moment, les seules victimes de l’ire du vainqueur: cette situation peut avoir suffi à leur faire envisager l’armistice.
Noyon correspond à peu près aux caractéristiques ci-dessus, et ses partisans s’appuient sur l’homonymie; mais le nom actuel dérive de Noviomagus, la bourgade gallo-romaine qui s’est développée sur la voie d’Agrippa, à l’emplacement de la ville actuelle.
Quant à la capitale des Suessions dont on ignore le nom, elle est arrivée sur la même voie romaine, à Soissons, au premier siècle après J.C.
Cette localisation de la bataille de -57 offre une description des opérations qui cadre parfaitement avec les textes anciens, et échappe aux impossibilités tactiques qui grèvent les solutions proposées jusqu’à ce jour.
Bien entendu, elle nécessiterait des fouilles avant de devenir certitude.
En observant toutefois que si le sommet du plateau de Condé a été relativement plus épargné par les marmitages de la grande guerre, que certaines régions proches, il a néanmoins été bouleversé par la construction du Fort de Condé (à l’emplacement où devaient être situés les camps romains), par les labours profonds depuis 1945, et par la géologie du terrain, dont l’érosion effrite la bordure de calcaire grumeleux du Lutétien supérieur, et la fait reculer d’un mètre environ par siècle.
On devrait, par contre, retrouver trace du grand fossé antique, dont on connaît l'emplacement par la photo aérienne présentée plus haut.
La butte des Longues Raies, en revanche, a été l’objet d’importants travaux conduits par les troupes françaises après les offensives de 1917, et il est peu probable d’y retrouver des vestiges de fortifications antérieures.
ANNEXES.
- 1 / LES IMPOSSIBILITES DE MAUCHAMP
Du point de vue géographique, la faiblesse de ce site - si on veut l’appliquer à la bataille de 57 - réside dans le fait que le terrain, à l'est de la RN 44, est une plaine ouverte sans obstacles, aujourd’hui vouée aux emblavures et à la betterave.
Face à une coalition belge venant de Laon – et pour justifier l’emplacement de Mauchamp, il faut la faire descendre du nord – ce camp ne couvre ni Reims ni le pays rème: Les Belges pouvaient le déborder à l'ouest et à l'est, et piller impunément la ville et la campagne rémoise.
Mais surtout, le camp mis à jour en 1861 par le commandant Stoffel ne correspond, dans ses détails et au plan tactique, ni à la description de César, ni aux nécessités de la campagne de -57
1 - Ses dimensions tout d'abord : 655 m x 658 m, il couvre 43 hectares. Sachant qu'il fallait, à la fin de la République, 18 à 20 hectares pour un camp de légion, on voit bien que ce camp n’a pu abriter qu’un détachement de deux, au maximum trois, légions.
Où était le reste de l'armée ?
2 - Le camp n'est pas appuyé à l'Aisne sur un de ses côtés; il n'est pas tourné face au Nord-ouest, direction d'arrivée de la coalition belge: il est orienté face au Nord-est et est visiblement construit pour contrôler la rive droite de l'Aisne, devant une menace arrivant des Ardennes et du Porcien. ; Il n'y a pas de pentes abruptes sur les flancs de la colline quelle que soit l’orientation adoptée, mais une simple ondulation molle.
3 - L'espace de déploiement n'est pas devant le camp, mais derrière, si on place la porte prétorienne au N-E ; au mieux sur le côté, si on conserve la direction de Laon; Le camp (ou la colline) ne couvre pas lui-même le passage de l'Aisne, contrairement à ce que dit César : il faut déployer l'armée hors du camp pour assurer la protection du pont et le passage des convois.
4 - Le marais de la Miette est trop peu important pour gêner une armée, compte tenu de la très faible pente des versants du ruisseau, et il n’y a pas place entre les deux lignes de bataille pour un combat de cavalerie : soit le marécage est suffisant pour arrêter l’ennemi et on ne peut pas y combattre à cheval, soit on y combat à cheval et il n’arrête personne.
5 - Les fossés latéraux creusés sur 600 m de part et d'autre de la colline sont remplacés par deux saignées partant du camp (et non de la colline), aboutissant l'une au bord de l'Aisne, l'autre, droit sur l'ennemi, au marécage de la Miette; leur direction ne couvre pas les arrières de l'armée romaine.
Ce que Stoffel appelle castellum à 80 mètres du camp, présente des fossés transversaux de profondeur ridicule (de un mètre à vingt centimètres) ( Léon Fallüe – Le Passage de L’Aisne par César. 1862). Les sept puits que l'on y trouve ne s'expliquent pas par une recherche d’eau (on ne creuse pas des puits à 300 mètres devant son camp) Ils pourraient être une défense d’origine germanique qu’on ne connaît dans les camps romains qu’à partir du IVe siècle, chez les légions ayant incorporé des guerriers d’outre-Rhin.
On a trouvé des tessons de poterie romaine. Cela paraît un peu ridicule pour l’authentification d’une telle bataille: César ne se promenait pas avec des tuiles et des amphores ! De plus, ces tessons sont datés “au plus tôt du 2e siècle de notre ère” (Christian Peyre; le champ de bataille de l'Aisne - Revue des études latines- 1978; tome 56; pp. 175/215) Les quelques monnaies trouvées ne prouvent rien (deux romaines, dont une suspecte, un paysan ayant été accusé de l'avoir enfouie la veille de la trouvaille, deux pièces rèmes, et plusieurs datées du Moyen Age - Melleville. Le Passage de l’Aisne par César. 1864).
Enfin, on explique difficilement les nombreux ossements de chevaux vus dans les fossés.
6 - Les fossés du camp ne correspondent en dimensions ni aux défenses de la fin de la République (3,55 m. de large sur 2,70 de profondeur pour des talus de 1,20 de haut sur 3,55 de large), ni à ce que dit César de l’ouvrage qu’il fit construire, (fossé de 5,30 et talus de 3,55 de haut). On ne trouve à Mauchamp que des saignées irrégulières dont la largeur maximum est de 2,50 : avec la terre sortie de telles tranchées, on ne peut monter que des parapets d’au plus 1,80 de large. (Melleville. Le Passage de l’Aisne par César. 1864.)
7 - Les claviculae sont faites de talus irréguliers, fonction du fossé creusé devant elles, dont la largeur varie de deux mètres à cinquante centimètres (d°).
De plus une controverse oppose les spécialistes sur la date d’apparition des claviculae et leur emploi. Dans le doute, il est risqué d’appuyer une démonstration sur ces protections.
En outre, aucune des fouilles entreprises après 1862, n'a retrouvé trace de ces claviculae qui, contrairement aux fossés du camp, auraient disparu ! (Christian Peyre Le champ de Bataille de l’Aisne. Revue des Etudes Latines. 1978- Tome 56. pp 175/215)
8 - Les campements gaulois qui s’étendent sur 12 Km à moins de 3000m doivent décrire un arc de cercle depuis le bois Marteau (au Nord de l’Aisne à 2 Km de Pontavert) jusqu’à Juvincourt et Damary, puis sur la rive gauche de la Miette jusqu’aux lisières de Guignicourt sur l’Aisne.
Les Belges toucheront donc à cette rivière de chaque côté du camp de César et de Berry-au-Bac: ils vont ainsi pouvoir attaquer concentriquement des deux côtés du ruisseau, ou passer tranquillement l’Aisne derrière le masque d’une première ligne, et ravager le pays rémois.
Atlas de Napoléon III
9 - Placé comme il est, le camp de Mauchamp est directement exposé à une attaque belge par l'Est : les deux légions de jeunes, qui y ont été laissées en réserve, risquent donc de se retrouver en première ligne, avant même l'engagement de l'armée
10 - En outre, cette réserve est curieusement placée à une extrémité de la ligne de bataille. Si la rupture s'effectue à l'aile gauche, les deux légions devront, avant d'être engagées, parcourir trois kilomètres derrière le front des troupes, lieu où se replient tous les blessés : de jeunes recrues n'ayant pas encore subi le baptême du feu, risquent d'être fort impressionnés par ce spectacle. En outre, le danger est grand de voir la colonne d'intervention fractionnée par les aléas de la bataille, ou incapable de rejoindre son objectif, à cause du reflux du front défensif.
11 - Si l’aile gauche recule vers le camp derrière le centre, elle dégarnit le pont qui est aussitôt submergé : aucune contre attaque romaine ne peut rétablir la situation, ni par la gauche où le terrain est resserré entre la Miette et l’Aisne, ni par la droite à travers le marais (si celui-ci laisse passer la contre attaque, il n’arrête pas les Belges)
En cas d'enfoncement central de la ligne romaine, les soldats placés à l'ouest du point de rupture, n'ont aucune chance de pouvoir se réfugier dans leur camp. Ils ne peuvent que se jeter dans l'Aisne, ou se faire massacrer contre les palissades du Praesidium de Berry-au-Bac.
Voilà qui n'a dû conforter ni la tranquillité d'esprit, ni la pugnacité de l'aile gauche de César !
Voilà surtout un ensemble d'observations qui empêchent le camp de Mauchamp d'être un emplacement pour les réserves ou un recueil, au cours de la bataille de l’Aisne de -57 ; à la rigueur, c'est une couverture face à l'Est, mais ce n'est pas ce que dit César, et le paysage qu'il décrit n'est pas celui de Berry-au-Bac.
- 2 / ALORS ? QUID DU CAMP DE MAUCHAMP ?
Devant tant de contradictions, des érudits curieux ont cherché qui - à défaut de César en -57 - avait pu construire ce camp, visiblement utilisé durant une période assez longue (tessons) par une troupe comprenant une bonne proportion de cavaliers (ossements).
Plusieurs hypothèses ont été avancées :
a) C'est le camp construit par Labienus, lorsque César, au printemps 56, le détacha avec de la cavalerie pour surveiller les Trévires, pendant la campagne contre les Vénètes (BG, III, 11), ou celui construit par ce légat durant l’hiver 54-53 chez les Rèmes pour remplir la même mission, ou encore lorsqu’il revint à l’hiver 53-52 avec deux légions, toujours en couverture face aux Trévires.
b) C’est un des camps édifiés par Julien, alors préfet des Gaules après sa victoire d’août 357 sur les Alamans, pour contrôler les Francs qu’il n’avait pas la possibilité de refouler en Belgique, et utilisé ensuite par les troupes de Stilicon sous Honorius, pour maintenir ces mêmes Francs. (Je n’ai pas retrouvé le nom de l’officier qui, vers 1860, a émis cette hypothèse : Mea culpa).
c) C'est le camp installé par Eudes en 894, sur la vieille "Route de Germanie" (qui passait par Rethel, Mauchamp, le chemin des Dames et Noyon) contre les troupes germaniques venues de Lorraine rétablir Charles le Simple. (Melleville. Le Passage de l’Aisne par César. 1864). En effet, ce camp n'est pas orienté face au Nord, mais face à l'Est : avec ses deux fossés, il barre l'espace Aisne-Miette, et les deux portes de la face Ouest ne s'expliquent pas autrement.
La dernière explication tient compte de l'orientation du camp, mais c'est peut-être la seconde qui serre de plus près la vérité :
Mauchamp présente en effet certaines caractéristiques d'un camp du Bas Empire : fossés de faibles dimensions, peut-être puits défensifs.
C'est ce que décrivait Végèce qui, tout en reconnaissant que la règle était de creuser des fossés de 12 pieds de large sur 9 de profondeur, constatait que les mesures de ceux-ci variaient en général de 5 à 9 pieds de large sur 3 à 7 de profondeur ; C’est ce que préconisait également Hygin qui conseillait les claviculae.
C’est, dans sa forme dernière, un camp tardif, orienté face à l’est, qui a pu être employé jusqu’au quatrième siècle contre les barbares, ou même au cinquième contre les bagaudes de l’Est-champenois.
Parallèllement, Leon Fallüe qualifie Berry-au-Bac de "Camp de barrage" (Berry) et refuse - à cause de sa taille, 20 hectares et de sa configuration - d'y voir un praesidium.
Il le date du règne d'Honorius après la mort de Stilicon, (début du cinquième siècle), et pense qu'il aurait été construit pour bloquer, avant Reims, les invasions barbares qui avaient déjà razzié Arras, Amiens et Térouane.
Il note aussi que les camps arrondis d'Alise-Sainte-Reine semblent dater de la même époque.
- 3 / LES AUTRES SITES
On a voulu placer le camp de César à Bourg-et-Commins, ou dans la zone située entre Beaurieux et Pont-Avert.
Le premier emplacement a pour lui la toponymie miraculeuse de Pont-Arcy (le Pont à la citadelle), et le second, l’autorité de Napoléon 1er qui y situa le camp de César en allant livrer, en mars 1814, la bataille de Craonne;
a) Le plateau de Madagascar à Commins
Ce fut peut-être un oppidum pré- ou protohistorique : il en présente les caractéristiques : bordé de pentes raides, il possède quelques sources sur ses flancs, et ses accès sont faciles à interdire.
Mais il est de dimensions trop exiguës pour être la hauteur citée dans les Commentaires : 2000 m x 500 m suffisent à héberger huit légions mais ne permettent pas, en plus, de déployer l'armée.
La pente nord est abrupte, et le ruisselet de Vendresse, encaissé, n'offre aucun marais.
De plus, si des accès difficiles sont propices à l'installation d'un oppidum refuge, ils deviennent une gêne dans le choix d'un camp romain, en accroissant les difficultés de sortie.
Même les acrobaties auxquelles s’est livré M. de Saulcy (Les Campagnes de Jules César dans les Gaules. Etudes d’archéologie militaire. Paris. Didier. 1865.), pour authentifier, à toute force, un site plausible entre Pont-d’Arcy et Neuchâtel-sur-Aisne, ne peuvent «habiliter» ce plateau.
Les autres sites
b) Beaurieux
La colline de Beaurieux, orientée SW-NE, est un dôme de 100 mètres d'altitude qui se développe sur 2 Km x 3 Km à sa base, mais dont le sommet rocheux ne mesure que 1000 m x 200m. Appuyée au Sud-ouest à l'Aisne, la colline est parcourue sur son flanc NW par un vieux chemin signalé au V ème siècle par l'évêque de Laon. (Pardul [ou Pardulphe?], dans une lettre à son archevêque Hincmar, en 842, ou peut-être 849, à l’occasion du concile de Quierzy-sur-Oise)
De quelque côté qu'on choisisse la direction par laquelle arriveront les Belges (NW ou Nord), on ne peut placer sur cette colline un camp de 100 à 160 hectares, avec la crête où déployer les légions, et trouver, en avant, un marais séparant cette crête de l'espace où s'est installée l'armée belge.
Ou alors, il faut pousser jusqu'à l'Ailette, de l'autre côté du Chemin des Dames, mais ce n'est plus la bataille que décrit César.
c) Chaudardes
C'est à peine un moutonnement de 2 Km x 1, sans flancs abrupts et sans aucun des caractères défensifs qui dissuadèrent les Belges d'attaquer le camp romain.
d) Cette description s'applique également aux trois buttes nord de Pontavert (le bois des Buttes, la butte de l'Edmond et la cote 77 près de la Croix-de-Tony) dépourvues de toute espèce de défenses naturelles.
Pas plus que Mauchamp, Beaurieux, Pontavert, Chaudardes ou le plateau de Commins, n'ont hébergé le camp de César en -57.
- 4 / LES FRONTIERES ENTRE REMES ET SUESSIONS
A/ GENERALITES
Les frontières entre les cités gauloises ont été, en général, conservées par le conquérant romain. Cependant des modifications ont eu lieu :
- pendant les premières années après la conquête, pour les besoins du maintien de l’ordre.
- à partir de -27 par Auguste et ses successeurs, pour des raisons administratives.
- puis, après l’effondrement de l’empire, lorsque ont seules survécu les circonscriptions religieuses, qui s’étaient superposées - pour les besoins de l’évangélisation - aux découpages civils gallo-romains (- «Au début de la domination franque, tout au moins, il y avait identité complète entre les divisions de l’ordre civil, et celles de l’ordre ecclésiastique; l’on sait du reste que cette concordance était recommandée par les conciles». {A.Longnon –Géographie de la Gaule au VIe siècle. Paris.1878]
" Cette correspondance entre les circonscriptions civiles et les circonscriptions ecclésiastiques est considérée par certains comme un postulat mais n'est en réalité qu'une hypothèse de recherche, maintes fois vérifiée par les faits " (Michel Bur: Pour une carte des Pagi champenois à l’époque carolingienne, in La Champagne et ses administrations à travers le Temps. Collectif; La Manufacture. 1990; p. 142)..
On ne peut donc avancer cette hypothèse pour définir toutes les frontières de la conquête:
a) D'abord parce que les Gaulois ne portaient sans doute pas, sur la notion de frontière le même regard que nous ; la définition en était plus vague et fluctuante, fonction des rapports de force du moment: les confins des cités gauloises étaient souvent occupés par des "no man’s lands" forestiers, refuges des hors-la-loi en temps de paix, ou des populations en temps de guerre ( «….Certaines de ces zones de 5 à 15 km de large, survivront sous l’appellation de «marches séparantes», sur les confins des comtés féodaux, jusqu’au XIV° siècle». (Jean Hubert: La Frontière occidentale du Comté de Champagne.1955.)
C'est dans ces zones que César dressait volontiers ses camps d'hivernage, afin de mieux préserver sa liberté d'action.
Après la conquête, la majorité en fut déclarée terre du fisc romain, puis annexée à titre personnel par les rois mérovingiens.
b) Ensuite parce que ces limites ont varié à plusieurs reprises:
1. Après la conquête, la Gaule ne reçut pendant un quart de siècle aucune organisation administrative ; seuls existaient des commandements militaires aux contenus variables, fonction de la situation locale et des besoins de Rome :
- Les Eburons et les Aduatuques disparurent, et leur territoire fut partagé entre leurs voisins.
- Certaines villes importantes furent enlevées à leur cité d’origine : Auxerre aux Héduens, Boulogne aux Morins, Orléans aux Carnutes, Albi aux Rutènes, Angoulême aux Santons.
2. En -27 Auguste dota la Gaule d’une administration civile, regroupa les cités en Provinces (plus d’ailleurs pour des facilités de gestion qu’en fonction des parentés : les Lingons, par exemple, se retrouvèrent en Belgique) et rééquilibra le poids des cités pour éviter les ensembles trop puissants.
3. Ces mouvements continuèrent avec les empereurs suivants : c’est ainsi que les Ségusiaves furent détachés des Héduens, les Silvanectes des Suessions (ou des Bellovaques?), les Tricasses séparés des Senons (ou des Rèmes?), les Meldes des Senons, le Béarn des Boii, Aires et Oloron des Tarbelli (région de Dax)
Certaines cités furent absorbées par leurs voisins et disparurent : les Calètes (pays de Caux), les Viducasses (Vaux dans le Calvados), les Vadicasses (Valois), les Arvii (Argentan), les Coriosolites (entre Dinan et Lamballe).
D’autres furent créées : Verdun détaché des Médiomatrices, Coriosopilum (Quimper) des Venètes, Tarbes des Convenae (Comminges), Eauze des Auscii [- a) Mirot: Manuel de Géographie et d’Histoire de France. - b) Ernest Desjardins: Géographie Historique et Administrative de la Gaule romaine. Hachette. Paris; 1878].
c) Enfin parce que des modifications ultérieures ont eu lieu dans les frontières des Diocèses :
- Châlons fut détaché de l'évêché de Champagne au 3ème siècle, le Laonnais fut séparé de Reims en 497 ou 498 par Saint Rémi qui en fit un diocèse au bénéfice d'un de ses neveux.
- De même pour le Noyonnais qui fut transféré, en 531, de Saint Loup, évêque de Soissons, à Saint Médard, évêque de Vermand.
D’autres changements ont pu être oubliés, les textes parvenus jusqu’à nous n’en parlent pas.
B/ BRAINE ET LE TARDENOIS: LA SEPARATION DES POUVOIRS CIVIL ET RELIGIEUX
Par suite d'immunités accordées par les Mérovingiens, six prélats possédaient le comté de leur ville épiscopale. L'archevèque de Reims était du nombre.
Dans la région qui nous occupe, le canton de Braine, actuellement inclus dans le diocèse de Soissons, semble présenter, sous les Mérovingiens, deux dépendances ecclésiastiques successives.
Auguste Longnon, dans son étude des Pagi rémois, avait prouvé que le Tardenois,"à cheval sur deux diocèses, se présentait comme une structure sui generis par rapport aux deux cités de Reims et de Soissons" (Géographie de la Gaule au VIe siècle.p.144)
Reinhold Kaiser (Unter Suchungen zur Geschichte der Civitas und Diocèse von Soissons; Bonn; 1973), constate que le pagus du Tardenois est partagé entre les deux villes de Reims et de Soissons. Admissible au Moyen Age dans un découpage religieux, une telle scission est impensable à l’époque de l’indépendance : l’unité baptisée pagus ne peut relever que d’une seule cité, et, de plus, Soissons n’a été fondé qu’après la conquête, sur la voie d’Agrippa.
Des mentions de cette dualité d'appartenance apparaissent à la mort de Saint Rémi (533)
- dans son testament, où il fait des dons à diverses églises extérieures à l'actuel diocèse de Reims, en particulier à celle de Chéry qu’il aurait lui-même consacrée;
- dans le Polyptique de Saint Rémy, aussi, qui mentionne comme appartenant au Pagus Remensis (après détachement de Laon en 498), un certain nombre de doyennés dont trois doyennés hybrides entre Reims et Soissons : Hermonville, La Montagne, qui forment la partie rémoise du Tardenois, et Châtelet, qui représente la partie soissonnaise avec les doyennés d’Oulchy et de Bazoches (dont Duchesne - XIXème siècle - affirme que la collégiale a été fondée par Saint Rémi).
L'abbé Pécheur dit que le domaine de Bazoches fut cédé aux évêques de Soissons par le métropolitain de Reims, et que le territoire fut inféodé au Seigneur de Châtillon-sur-Marne (Annales du Diocèse de Soissons; Volume 1). Ce territoire de Bazoches aurait donc, à l'origine, appartenu religieusement et civilement à l'Archevêque de Reims.
Parallèlement, A. Longnon, dans Eléments relatifs au Comté de Champagne, Tome 1, écrit:«Le comté de Braine fait partie du comté de Champagne, mais le suzerain en est l’archevêque de Reims»).
À l'avènement d'Hugues Capet, le comté de Braine, dont les paroisses relevaient de l’évêché de Soissons, était une mouvance tenue de l'archevêque de Reims par le comte de Troyes, plus tard comte de Champagne ( Longnon: La Formation de l’unité française. Paris 1922. A.Picard.) Cette séparation dura, puisque : «…Au XV° siècle, l’archevêque de Reims ramassait des impôts, pour payer les hommes d’armes de la garnison de Braine». (Laurent Boussinesq; Histoire de Reims.)..
Le comte de Braine était déjà fort puissant car il étendait son autorité depuis les bords de l’Aisne jusqu’à l’Yonne (R. Crozet. Histoire de la Champagne; Paris; 1933) et il était un des sept pairs de Champagne : en 1358, c'est lui qui, à Vertus, parle au Régent de France au nom de la noblesse champenoise.
Toutes ces notations montrent une situation curieuse : le comté de Braine et une partie du Tardenois, bien que rattachés, dès avant l'avènement des Capétiens, à l'évêché de Soissons, font partie intégrante de la Champagne, et sont la "propriété" (au sens féodal du terme, et aux plans civil et militaire) de l'archevêque de Reims.
Il y a donc, très tôt, partage des pouvoirs civil et religieux entre Soissons et Reims, dans le Tardenois comme dans le canton de Braine.
Cette situation aurait donc constitué une dérogation aux directives conciliaires (A.Longnon –Géographie de la Gaule au VIe siècle. Paris. 1878).
On a bien l'impression d'être, dans cette région, sur une des exceptions dont parle Michel Bur (Pour une carte des Pagi champenois à l’époque carolingienne, in La Champagne et ses administrations à travers le Temps. Collectif; La Manufacture. 1990; p. 142). où la correspondance entre circonscription civile et circonscription religieuse a été rompue :
Si la séparation des diocèses se fait sur une ligne Dormans - Fismes - Pont-Arcy,
la limite civile entre la Champagne et le Soissonnais passe, dès le Moyen-Age, entre Soissons et le comté de Braine.
Une des deux frontières, la civile ou l’ecclésiastique, aurait donc bougé à une époque qui se situerait aux alentours de la mort de saint Rémy.
Est-ce la limite civile qui s’est déplacée de Fismes à Sermoise, ou la démarcation entre les diocèses qui a été reportée vers l’est ?
La première hypothèse n’expliquerait pas la coupure du Tardenois entre les deux évêchés ; la limite du pagus passerait par l’actuelle frontière diocésaine, et la capitale, Tardunum, que l’on identifie aujourd’hui avec Mont Notre Dame, n’aurait pas été placée sur les confins de l’époque.
La seconde hypothèse, par contre, (le report vers l'est de la limite des diocèses) répond assez bien aux questions posées par les distorsions que l'on constate entre ces deux limites.
C/ LA FRONTIERE DE 57.
On serait alors, entre Sermoise et Soissons, sur la limite occidentale de la province de Champagne, en présence de l’ancienne frontière séparant les Rèmes des Suessions, ou du moins d’un état de cette frontière au cours de l’histoire de la Gaule indépendante.
L’objection que Soissons, capitale des Suessions, ne pouvait pas être placée aussi près de la frontière, ne tient pas : En -57, la ville n'existait pas! Station étape sur la voie d'Agrippa, elle est datée de 20 avant JC ; le commerce l'a quelque peu développée, puis elle a perdu son nom d'"Augusta Suessionum" pour celui de Soissons, au cours du 3ème siècle.
Poste avancé de Syagrius face aux Francs, la ville prit de l'importance quand Clovis en fit sa capitale. A la mort de son père, Clotaire y est resté comme roi de Neustrie, mais c'est peut-être la trop grande proximité de la frontière de l'Austrasie, qui a incité ce monarque à entreposer ses trésors en arrière, dans l'ancienne villa impériale de Berny-Rivière, à mi-chemin entre Soissons et Compiègne.
1) Quel était le tracé exact de la frontière entre Aisne et Ailette? Il est difficile de le savoir exactement mais la présence de deux fiscs peut aider à la situer.
Traditionnellement, on admet que les fiscs ont été, le plus souvent, prélevés par les Romains sur les no man’s land qui séparaient les cités. Deux fiscs sont connus dans cette zone: CROUY et COUCY.
Le premier semble correspondre à la vallée du ruisseau qui descend NE-SW de Laffaux et Neuville-sur-Margival vers Soissons.
Le second comprenait, sur la rive Sud de l’Ailette, Crécy au Mont, Seuilly-sur-Coucy, et apparemment Pont-Saint-Mard et Vauxaillon. Au Nord il incluait une portion de la forêt de Saint Gobain.
Au sud de l'Aisne, son tracé est beaucoup plus flou.
Les Fiscs de Crouy et Coucy, entre Aisne et Ailette
2) L’étranglement Neuville Laffaux.
Le plateau qui sépare, depuis l’Oise à l’ouest, les vallées de l’Ailette et de l’Aisne, présente entre ces deux fiscs, un étranglement très net à hauteur des thalwegs du ruisseau de Vauxaillon au Nord, et de celui de Margival au Sud Ce rétrécissement mesure de 900m au Nord de Neuville, à 400m au dessus de Laffaux, en passant par un minimum de 250m au milieu, à hauteur des Trois Fontaines. C’est cet endroit qu’ont choisi les Chemins de fer du Nord, pour creuser un tunnel sur la voie ferrée Hirson-Paris.
Or deux batailles opposant la Neustrie à l’Austrasie se sont déroulées aux temps mérovingiens à Laffaux.
Ces deux batailles des temps mérovingiens ont opposé:
- En 596, Frédégonde, reine de Neustrie, et Brunehaut, reine d’Austrasie: L’armée de la première, commandée par le duc Landry, y battit l’armée austrasienne.
- En 679 ou 680, Ebroïn, maire du palais de Neustrie, y défit les armées des ducs austrasiens Pépin d’Héristal et Martin.
Agacé par la perméabilité de la frontière d’Austrasie à cet endroit, Pépin d’Héristal, après la bataille de Testry (687), reporta sur l’Oise, la limite Austrasie/Neustrie
L’étranglement Laffaux-Neuville, sur l’axe Craonne-le Chemin des Dames-Blérancourt–Noyon, constituait un point de passage obligé pour une troupe en offensive, et offrait au défenseur un lieu propice à une bataille d’arrêt.
Qu’à un siècle de distance, deux batailles s’y soient déroulées, prêche, bien sûr, pour les avantages de sa position défensive, mais plaide aussi en faveur de sa proximité de la frontière Neustrie/Austrasie.
- Nota : Sans compter toutes les rencontres antérieures ou postérieures, dont le récit ou la localisation ne nous sont pas parvenus. C’est ainsi que l’emplacement de «Vinci», où Charles Martel écrasa, le 21 mars 717, Chilpéric II roi de Neustrie, ne fait pas l’accord des historiens: certains le placent en Artois; les plus nombreux le situent près du confluent de l’Aisne et de la Vesle, (peut-être sur la rive nord?). [Poinsignon. Histoire Générale de la Champagne et de La Brie.1896].
Sachant que cette frontière entre la Neustrie et l'Austrasie suivait, au haut Moyen Age, la limite entre la Champagne et le Soissonnais, la présence des deux fiscs de Crouy et de Coucy laisse penser que cet étranglement du plateau marquait aussi, quelques siècles auparavant, la limite entre les Rèmes et les Suessions.
Chacune des deux cités a certainement désiré s’assurer la possession du goulet de Neuville-Laffaux. Qui réussit ? Les Suessions ou les Rèmes.
Ou plus exactement, qui le possédait en - 57 ?
3. Le contrôle du passage
Celui qui s’en empara souhaita sûrement garantir cette propriété : et comment y parvenir mieux qu’en installant à proximité un oppidum de frontière, muni d’une garnison chargée de surveiller le passage, et éventuellement d’y percevoir un péage?
Quel qu’ait été le vainqueur de cette compétition, le parti adverse a pu vouloir construire, de son côté, un poste fortifié chargé de limiter d’éventuels empiètements, ou tout au moins les signaler.
Du côté des Rèmes cet oppidum - que le passage ait été entre leurs mains ou non - a pu s’appeler Bibrax.
Et cela expliquerait l’attitude des Belges : apprenant la présence de César sur une colline au bord de l’Aisne, et non là où ils étaient en droit de l’attendre, c’est à dire placé en position de barrage à hauteur de l’étranglement Neuville-Laffaux, ils ont pu penser que leur liberté d’action serait améliorée s’ils supprimaient la menace dans leur dos, que constituait cet oppidum ennemi, qui, soit contrôlait le goulet, soit était placé de manière à surveiller les forces qui en débouchaient.
Dans les deux cas, l'attaque de cette place était inévitable.
Sur l'Aisne, le passage dans la vallée était controlé par l'oppidum de rivière de Villeneuve-Saint-Germain (étudié par M. Jean Debord, et qui conserve un remarquable murus gallicus).
De quel côté ? Sans doute Suession, mais on s'est tellement habitué à situer la frontière rémo-suessionne à Pont d'Arcy, qu'on ne s'est peut-être pas posé sérieusement la question de son appartenance à la veille de la conquête, avant la création de la ville de Soissons.
- 5 / UNE EXPLICATION POSSIBLE A LA VARIATION DES FRONTIERES RELIGIEUSES.
A/ SAINT MEDARD.
Médard, fils d’un Franc et d’une Gallo-romaine, est né vers 458, à Salençy, près de Noyon (Baillet. Vie des Saints; 8 juin, et table critique du même mois)
Il fit des études à Vermand, dans les écoles fondées par l’évêque Alomer ( Coliette. Mémoires du Vermandois. T.1,p.122).
Il vécut ensuite à la cour de Childéric, puis de Clovis. Lorsque ce dernier déménagea pour Soissons, vers 486, Médard préféra rester à Tournai.
Vers 530, à la mort d’Alomer, les habitants de Vermand l’élirent évêque (Radbod, In vita St Médard apud Bolland, Acta Sancta.JUN. T.II p.90).
Or, le Vermandois avait plus d’une fois été dévasté par les barbares, et en particulier les Vandales; En 451, Attila avait terminé le travail en incendiant la ville (Coliette. Mémoires du Vermandois. T.1,), si bien que celle-ci ne possédait plus ni remparts, ni palais digne de ce nom.
Se méfiant des rivalités qui opposaient périodiquement – souvent par vassaux interposés – les deux frères Clotaire et Thierry, rois de Neustrie et d’Austrasie, le nouvel évêque souhaita posséder un siège épiscopal correctement protégé.
Il demanda donc à Clotaire, le fils de ses anciens protecteurs, d’intercéder auprès de Rémy, l’archevêque de Reims, pour que celui-ci lui permette de s’installer à Noyon, qui avait conservé des remparts et une vie urbaine normale (en outre, cela le rapprochait de ses terres personnelles de Salençy).
Le Noyonnais, partie du Soissonnais, appartient à Clotaire, comme le Vermandois, mais il dépend épiscopalement de Saint Loup, évêque de Soissons, neveu de Saint Rémy
La position de l'archevêque de Reims vis à vis des fils de Clovis, est à la fois de diplomatie et d’autorité: ses terres personnelles sont en Austrasie, mais son archevêché couvre une partie de la Neustrie: il est obligé de composer avec les deux souverains, même si son prestige leur en impose.
Saint Loup obtempère aux désirs de l’archevêque son oncle, et aux pressions du Roi qui vit à Soissons.
L’évêché de Médard couvre donc, à compter de cette date (dans peu de temps, Médard sera, en plus, élu évêque de Tournai.), le Vermandois et le Noyonnais, avec Noyon comme siège. Vermand reste cependant la capitale civile du Vermandois, et Clotaire conserve, à partir de Soissons, la suzeraineté de l’administration civile et militaire du Noyonnais.
Et c’est ici que nous entrons dans le domaine de l’induction, mais c’est la seule hypothèse qui explique aujourd’hui, le déplacement de la limite épiscopale du Soissonnais.
B / LA COMPENSATION DE SAINT LOUP.
Le Noyonnais est un pays riche, dont les diverses redevances religieuses ne sont pas négligeables; les revenus de Saint Loup vont donc se trouver amputés d’une portion importante. L’évêque ne peut accepter le transfert imposé, qu’assorti d’une compensation.
Une portion nord du Vermandois, trop excentré vis à vis de Soissons, ne l’aurait pas intéressé, et les évêques neustriens, ses voisins du sud, n’ont sûrement vu aucune raison de faire des cadeaux au neveu du riche archevêque de Reims.
C’est donc Rémy, sur ses tenures personnelles, qui va fournir la contrepartie :
Il cède à son neveu les droits et bénéfices ecclésiastiques du comté de Braine et de la partie occidentale du Tardenois, qui jouxtent l’évêché de Soissons,
mais il n’abandonne aucun de ses autres droits féodaux sur ces territoires, qui continuent – sous sa suzeraineté – d’appartenir à la Champagne et, pour l’heure, à l’Austrasie.
Clotaire aurait probablement souhaité que le transfert fût total, mais Thierry qui ne mourra qu’en 533/534, n’a sûrement pas voulu se dessaisir de cette marche, qui mettait Soissons, la capitale de son ambitieux jeune frère, à portée de main d’une riposte éventuelle.
C / LE CONCILE DE NOYON.
Le transfert religieux du Noyonnais au Vermandois fut source, pendant des siècles, de contestations entre les évêques de Soissons et de Noyon, à propos des communes de la rive gauche de l’Oise.
Le problème était envenimé par le fait que la subordination administrative de ces terres était restée à Soissons, et qu’en 768, Pépin le Bref avait repoussé sur l’Oise la frontière de l’Austrasie.
Il fallut, en 814 (Moët de la Fortemaison- Antiquités de Noyon- Rennes-1845) l’année de la mort de Charlemagne, le concile de Noyon et l’arbitrage de dix évêques, pour trancher le différend qui opposait Wandelmar, évêque de Noyon, et Rothald, primat de Soissons
Le premier se vit confirmer la possession d’un certain nombre de communes sises à l’est de l’Oise (Brétigny, Varesmes, Pontoise, Sempigny, Carlepont, Ourscamp, Tracy-le-Mont, Bailly, et Saint-Léger), qui avaient appartenu, jadis, à l’ancien pagus gaulois du Noyonnais.
D / EN GUISE DE CONCLUSION.
Peut-être existe-t-il une autre justification à cette séparation entre les pouvoirs civils et ecclésiastiques, dans le Tardenois et le comté de Braine? Ce divorce ne peut s’expliquer que par un déplacement de la limite des diocèses, mais les anciennes chroniques n’en ont pas gardé trace.
La convergence entre les problèmes d’appartenance territoriale de la partie orientale du Noyonnais, le transfert de ce dernier à l’évêque de Vermand, et le déplacement vers l’est de la frontière du diocèse de Soissons, fait penser à l’échange, à titre de dédommagement, évoqué ci-dessus.
- 6 / OU FAUDRAIT-IL CHERCHER BIBRAX ?
A / Réflexions.
- Au nord de l’Aisne.
- A douze kilomètres du camp de César (ou - moins probablement, mais on ne peut exclure cette mesure - du plateau de Condé, si l'on considère le déploiement de l'acies devant le camp ?).
- Très probablement à proximité de l’étranglement de Laffaux (Bibrax était certainement un oppidum de frontière), et du côté rème de la limite.
- A l’ouest sans doute de cet étranglement, puisque César dit que les Belges attaquent la ville « au passage » (BG II, 6) puis, après le renfort envoyé par le Proconsul, qu’ « ils ravagèrent les terres des Rèmes …. et se dirigèrent avec toutes leurs forces vers le camp de César » (BG II, 7).
- Pas sur l’étranglement lui-même : les bourgs ou les forteresses ne bouchaient pas les passages, et n’étaient pas traversés par des routes. Ils contrôlaient les incursions ou le trafic des chemins, et étaient établis à proximité de ceux-ci, souvent au bout d’une bretelle qui les reliait à la route.
- Pas non plus sur le sommet des crêtes entourant la colline de Condé, ou au sud de la portion de route Laffaux – la Malmaison, car Bibrax se serait alors trouvé au milieu des camps belges : Elle n’aurait pu être secourue, et son siège aurait duré tout le temps de la présence des Belges autour du camp de César. En outre, elle y aurait été à moins de huit mille pas de l’armée romaine.
- On pourrait chercher ce bourg dans la vallée de l’Ailette, peut-être protégé par un méandre de la rivière, mais il aurait alors difficilement pu contrôler le passage de la route de crête, et son siège ne se serait pas imposé à la coalition.
B / En Conclusion.
La ferme de Moisy (1), bien qu’elle soit à l’est du passage, mais sa position lui permet un contrôle efficace de l’étranglement.
Bibrax était donc :
- Soit au nord de la crête « étranglement de Laffaux - la Malmaison » :
La croupe de la ferme d’Antioche (2),
sur la croupe (3) portant le Monument des Tombes au dessus de Leuilly-sous-Coucy,
- Soit au sud de la crête, sur le plateau au-dessus de Neuville-sur-Margival (4),
ou sur la portion de plateau (5), entre Sorny et Terny, ou sur la Plaine de Beaumont (5bis).
Tous ces points peuvent être estimés à 12 kilomètres du camp de César, ou du plateau de Condé, dans l’ignorance ou nous sommes de l’origine exacte qu’a pris le proconsul pour faire ses calculs, et de l’itinéraire qui a été employé pour acheminer les secours romains.
- Le Canton de la Montagne (6), au dessus de Pinon, pourrait à la limite être considéré comme ayant hébergé Bibrax, mais il semble trop écarté de la route pour contrôler le passage, si on le met en bout du mouvement de terrain, et ne se trouve pas à douze kilomètres du camp, si on le rapproche (6bis) au dessus d’Allemant, en outre il serait alors inclus dans les campements belges.
C’est à l’ouest de l’étranglement qu’il faut situer ce bourg rémois, car nous ne savons rien de la limite exacte de l’époque, entre Rèmes et Suessions., et en tenant compte de ce que dit A. Longnon : que les terres du seigneur de Coucy avaient été « usurpées sur l’église de Reims » (Auguste Longnon : « La formation de l’unité française » page 46).
La Champagne, et avant elle la terre des Rèmes, auraient alors inclus ce qui allait devenir une partie du fief de Coucy, et la frontière se situait à l’ouest de Laffaux.
- Ailleurs ? Peut-être ! Mais il faut se garder de retomber dans la fameuse théorie selon laquelle César falsifie la vérité à plaisir !
C / Et aujourd’hui ?
L’agglomération de ce point fortifié a pu disparaître, lorsque son rôle de surveillance de la frontière a cessé avec la Pax Romana
De plus, les Carolingiens, lors de leur accession au trône de la Francie, ont repoussé sur l’Oise la frontière de l’Austrasie, rendant inutile le contrôle du passage de Laffaux.
Quant aux vestiges de cet oppidum, les travaux allemands de 1914/1916, et les combats
de 1917/1918, laissent peu d’espoir d’en retrouver des restes identifiables.